Mon berger transhume en ville
Rencontre avec des bergers 4.0, impliqués dans l'aménagement des espaces, la préservation des paysages et l’éveil des consciences urbaines.
Rencontre avec des bergers 4.0, impliqués dans l'aménagement des espaces, la préservation des paysages et l’éveil des consciences urbaines.
Guillaume Leterrier, cocréateur des Bergers Urbains d’Île de France
L’enthousiasme grandissant dit la pertinence de l’élevage en ville et tout le sens du pastoralisme urbain emmené par ces bergers des temps modernes. Pourtant, au départ du projet de Clinamen et son émanation, les Bergers urbains, il y a huit ans, il y a surtout « le bien manger », sourit Guillaume Leterrier. « C’est quand même une formidable opportunité de réfléchir autrement à la gestion des espaces verts, qui coûte une fortune autrement », souligne-t-il, ajoutant que « l’essence du pastoralisme, c’est d’entretenir et animer l’espace. » C’est comme ça que les Bergers urbains se sont mis dans la poche des gestionnaires : institutions, maisons de retraite mais aussi bailleurs sociaux et même entreprises qui ont vu d’un bon œil la « pause moutons » au pied des bureaux ainsi tondus.
Marie-Anne Corniou, bergère itinérante dans le Sud-Est
Les troupeaux créent du lien partout où ils passent. Marie-Anne Corniou en a été émue aux larmes à plusieurs reprises. La jeune femme avait démissionné de son job de juriste au musée du Louvre et se cherchait en enchaînant les woofings, la version agricole du couchsurfing. Le maraîchage bio en Bourgogne lui avait bien plu, mais c’est finalement entre les tours de Seine-Saint-Denis que le déclic se produit. « Plein de moments magiques, où le rythme urbain est soudainement ralenti. Je me souviens notamment de cet homme en boubou, qui n’avait pas vu de ruminants depuis son exil ». Une claque pleine de sens : « Le troupeau est un médiateur social et culturel ». Et les craintes de cette solitaire de s’évanouir : elle trouvera également son équilibre personnel en déclinant le projet à Marseille. « Le potentiel pastoral y est immense, avec une grande trame verte jusqu’au massif de l’Etoile » s’enthousiasme-t-elle. Son projet répond au nom de Sonnailles, comme ces cloches attachées au cou des bêtes lors des parcours ;« parce que c’est beau, parce que c’est comme ça qu’on fait depuis toujours et parce qu’il s’agit aussi d’éveiller les sens et les consciences ! »
Gilles Amar, Ferme des Malassis, Bagnolet
Les Malassis, c’est un « lieu associatif ouvert à tous, structure pédagogique, atelier de paysage bestial, et espace de création, ça marche à quatre pattes dans nos imaginaires », dit Gilles Amar. C’est une sorte de mini-ZAD qui réenchante la ville au pied des immeubles. Formé à la conduite des troupeaux et au savoir-faire laitier dans le Sud-Ouest, Gilles a créé à son retour l’’association Sors de terre – pour « bouge-toi » – et construit en 2011 la bergerie avec l’’aide des habitants du quartier. Parce que « jardiner, s’occuper des bêtes, faire des yaourts, ça appartient à tout le monde. C’est universel, c’est humain. Il faut que tous ceux qui le veulent puissent le faire ailleurs que dans des musées et des happenings urbains ».
Marie Aumage, ferme de la Tour des Pins, Marseille
Après un quart de siècle du côté de Briançon, Marie Aumage s’est installée à la Tour des Pins, domaine de 12 hectares, propriété de la ville de Marseille. « Je m’attendais à un truc rabougri et caillouteux ; je suis venue visiter au printemps, ça dégueulait de vert, on se croirait en Corrèze ! » Entre les barres de Sainte-Marthe et du Merlan, dans le 14e arrondissement, à deux pas d’une petite gare TER qui rappelle la grande époque du PLM, elle y élève une cinquantaine d’alpines chamoisées, « les plus sympas avec les enfants ». Elle se félicite de contribuer à pousser « les gens de villes à réfléchir à leur alimentation, en voyant ce qu’est la production au milieu du béton ». Elle apprend aux gamins des cités à ne pas avoir peur des animaux et à les remettre à leur juste place dans l’écosystème, ni jouet ni doudou. Et quand la marmaille s’offusque du destin des chevreaux, elle explique que le vrai respect est de ne rien jeter, afin que l’animal ne soit pas mort pour rien. En face, des gamins pour qui la viande est souvent complètement désincarnée, « sans plus de valeur que le plastique qui l’emballe ». Elle met un point d’honneur à produire yaourts et fromages avec des ferments endogènes : « Faut avoir le courage de ce qu'on est, parce que ce métier c’est un projet de vie ».
Par Amélie Riberolle
© Stéphanie Tétu