"WHAT ARE YOU HAVING FOR THANKSGIVING ?"
Thanksgiving. La grand-messe américaine par excellence du dernier jeudi du mois de novembre évolue, s’expatrie et intéresse même les chefs hexagonaux.
Thanksgiving. La grand-messe américaine par excellence du dernier jeudi du mois de novembre évolue, s’expatrie et intéresse même les chefs hexagonaux.
Une superbe dinde, une cranberry sauce dont chaque famille peaufine la saveur secrète, une pumpkin pie qui trône, teintée de son orange automnal et sa sucrosité, implacable avec tous les estomacs…. Thanksgiving continue d’être le repère absolu des Américains qui souhaitent se retrouver en famille. Bien plus que pendant les vacances d’été, éminemment plus que Noël, chaque mois de novembre (hors Covid), les aéroports américains grouillent de gens empressés de s’attabler autour de la table familiale. Pourtant, après des siècles de célébration, le repas de Thanksgiving semble vouloir changer de visage, sortir du cercle familial pour s’inviter chez les amis, s’expatrie, intéresse les fins gastronomes. Le repas, relativement copieux et strict est dorénavant déclinable à l’envi et peut également s’adapter à tous les palais, même les plus délicats. À l’heure où la société américaine traverse de remuants questionnements, nous avons demandé à des Américaines expatriées en France, leur perception de Thanksgiving, de nos jours.
Dina Magnes est une vraie de vraie New-Yorkaise qui a passé sa carrière à explorer les tendances, dans l’industrie de la mode, avant de tourner la page pour épouser un ex-hôtelier à Toulouse. Pétrie de diverses origines, née en Israël, elle a connu les recettes de Thanksgiving qui dépassent le clivage religieux. Chez elle, on peut mêler la dinde et la moelleuse challah. « Au dernier Thanksgiving, nous n'avons reçu qu'une seule Américaine car elle était seule pour la fête à cause du Covid. Mais d'habitude nous recevons beaucoup et adorons offrir cette tradition à nos proches. » Cependant, le repas change depuis des dizaines d’années, s'installe hors du territoire, s’expatrie et a suivi ces tendances et les Américains n’en ratent pas une miette. « J’ai pu déguster un repas de Thanksgiving où la dinde était remplacée par des cailles, c’est très Français ! Des haricots verts aussi les accompagnaient… Cela change radicalement avec le repas originel qui est très chargé en sucres, saturé en gras… Ces changements plaisent aux palais curieux, nous vivons dans un monde global où un repas de fête est toujours une fenêtre sur une civilisation. »
Jessica Hammer vit également à Toulouse, depuis 2017. Passionnée de gastronomie, elle a lancé un food tour dans la ville rose, qui connaît un vrai succès. Née dans une famille rurale du Michigan, les produits, le terroir, lui tiennent à cœur depuis son arrivée en France. Même si dorénavant elle fait Thanksgiving en partie grâce à des recettes de son traiteur toulousain, elle continue d’observer l’évolution de cette fête au fil des années, au gré des tendances. Pour elle, cela reste un repas lié à la nostalgie, notamment celle de l’enfance. « Thanksgiving est un repas intime, une fête intime. Les Américains entretiennent un rapport à la nourriture beaucoup plus personnel que culturel, c’est très différent des Français. Ce n’est pas un problème de dire à une table américaine que vous êtes végétarien le jour de Thanksgiving, tout le monde s’adaptera. »
Déguster pour mieux comprendre ?
Pour elle, la fête commence à plaire à l’étranger car c’est un repas facile à faire, peu coûteux et les produits peuvent être trouvés facilement, en circuit court. Quelle n’était pas sa surprise lorsqu’elle parvint à commander un gratin de patates douces aux marshmallows (the sweet potato casserole), en plein Toulouse pendant le confinement : « J'étais sceptique au départ, c'est un plat très, très américain, eh bien c'était absolument délicieux. » Elle souligne : « Oui, le menu de Thanksgiving c’est un repas qui n’est pas onéreux, à la différence de Noël en France où l’on choisit des produits chers ou haut de gamme. » Les recettes de Thanksgiving commencent même à s’inviter chez les chefs français, comme chez le chef pâtissier parisien Sébastien Gaudard qui propose en cette année sa version de la pumpkin pie. Dans les cercles d’amis, le développement du « Friendsgiving », notamment sur les réseaux sociaux, séduit, marque également un tournant. « On voit le friendsgiving comme un moment où l’on se retrouve entre copains, on cuisine ensemble, c’est le kick-off du holiday season », soit la période des fêtes de fin d’année. On se permet de la réinvention, on intègre la dimension sociale. »
Cependant, Thanksgiving connaît également une période de troubles, où l’existence même de ce moment est remise en question par beaucoup d’Américains. Au-delà des débats gustatifs, les braises du dialogue autour de la colonisation de l’Amérique ont été ravivées. On se recentre sur la vraie histoire de l’Amérique qui est passée par la destruction de ses populations lors de sa découverte, les souffrances qui ont jalonné la difficile cohésion de cette nation, on s’écarte du récit classique des Pilgrims, des Wampanoags ou du Mayflower. Pour Jessica Hammer, c’est aussi une bonne chose : « Ce repas reste important à un moment de l’année extrêmement commercial, entre le Black Friday qui est lui aussi, très débattu de nos jours. J’imagine que c’est une bonne chose de questionner ces récits en quelque sorte. Je vois Thanksgiving devenir ce moment que l’on passe à table, en famille et nous réfléchissons à quoi nous sommes vraiment reconnaissants tout en étant peut-être moins attachés au récit colonial ».
Hannah Benayoun
© Jed Owen/Milada Vigerova/Christina Rumpf/Library of Congress