Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility De Riyad à Al-Hofuf, le conte de deux cités | Sirha Food

De Riyad à Al-Hofuf, le conte de deux cités

Le 09 mars 2025

En suivant les traces du chemin de fer de l'Est, de Riyad à Al-Hofuf, les contrastes entre le patrimoine et la modernité de l'Arabie saoudite se révèlent.

En suivant les traces du chemin de fer de l'Est, de Riyad à Al-Hofuf, les contrastes entre le patrimoine et la modernité de l'Arabie saoudite se révèlent.

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"Où allons-nous ? Je ne sais pas. Un dialogue sans fin avec la terre, où chaque horizon est une question", méditait le poète et écrivain palestinien Mahmoud Darwish. Dans le train reliant Riyadh à Al-Hofuf, Mohamed, un jeune étudiant accompagné de son frère aîné et de son père vêtu d’un thawb blanc immaculé, ainsi que de sa mère en burqa, explique combien il apprécie ce voyage vers l’Est à travers le désert. Du tumulte des rues animées de Riyadh à la quiétude des dunes de sable, le cliquetis rythmique des roues berce paisiblement les voyageurs à travers l’étendue aride. La capitale reflète une fusion dynamique entre tradition et modernisation rapide. La vie à Riyadh traduit un sentiment d’urgence et d’ambition, oscillant entre une activité effervescente et des instants où la culture saoudienne traditionnelle impose un rythme plus lent. Entourée de paysages agricoles et d’une culture enracinée dans un riche héritage historique, la ville orientale d'Al-Hofuf offre une expérience plus détendue et rurale. La vie familiale et agricole s’y entremêlent ; l’oasis apporte richesse et vitalité grâce à ses ressources.

"Le train de voyageurs vers l’Est est un lien essentiel pour nous", explique Mohamed. "Il rapproche des familles comme la mienne et nous permet de voyager en douceur d’un monde à l’autre." Un amour du contraste partagé par de nombreux Saoudiens, témoignant d’une profonde appréciation de l’interaction entre modernité et tradition dans la vibrante Riyadh, où les gratte-ciel modernes s’élèvent aux côtés des marchés anciens.

Un héritage audacieux
Najd, la région centrale de l’Arabie Saoudite s’étendant des montagnes de Hayel jusqu’au Quart Vide, est souvent décrite comme une terre fertile et riche, caractérisée par ses plats savoureux et son désert de sable rouge. Dès l’entrée au Najd Village, un restaurant de Riyadh dont le nom fait référence à ces hautes terres, l’histoire et le patrimoine se font immédiatement sentir. Le menu reflète cette tradition, et l’établissement est un lieu prisé par toutes les générations de Saoudiens. Installés à même le sol dans de petites salles ouvertes, les convives dégustent un éventail alléchant de ragoûts traditionnels : Kabsa, Jareesh, Qursan Al-Margaouq... Le plat appelé Mathlouthah, préparé en six heures, se compose d’une couche de Jareesh surmontée de Qursan, recouverte de riz chaud à la vapeur et d’une dernière couche de viande rôtie – agneau, poulet ou chameau –, agrémentée de raisins secs, d’amandes, de tomates et de piment, puis garnie d’œufs durs. Le Qursan est une pâte faite de farine de blé complet, d’eau et de levure. La pâte est cuite sur une plaque de fer plate, puis découpée en morceaux et incorporée à un ragoût composé de viande désossée, tomates, haricots verts, potiron, courgettes, oignons, poivre noir et citrons noirs séchés, appelés loomi.

Le joyau du désert, le citron noir, fascine par son acidité et sa complexité, issues du processus de séchage qui transforme les citrons frais jaune-vert en fruits durs et noircis. De nombreux plats, comme le Jareesh ou le Biryani d’inspiration indienne, sont enrichis de ses notes citronnées et fermentées. Le loomi est également utilisé dans les boissons et, au Najd Village, il sublime les arômes du café saoudien traditionnel, infusé jusqu’au bout de la nuit.

Au Takya, situé sur la Bujairi Terrace dans le site du patrimoine mondial de l’UNESCO d’At-Turaif, le menu honore également la tradition avec soin et respect. Mais en cuisine, le chef Mohammad Quraish réinvente les plats en y apportant une touche de modernité et en enrichissant les saveurs saoudiennes d’influences internationales. Son interprétation du Haneeth est particulièrement audacieuse : au lieu du traditionnel agneau cuit lentement dans un taboun en argile, il présente des côtelettes d’agneau disposées individuellement dans un bol en pierre noire, offrant une revisite audacieuse de l’un des plats les plus appréciés d’Arabie Saoudite. Il les parfume ensuite avec du markh – la lavande du désert ou plante Sawsan –, des tomates cerises rouges rôties au feu, des carottes marinées, de la crème aigre, une sauce au miel safrané et du piment vert.

Juste à côté, au Villa Mamas, la cheffe bahreïnienne Roaya Saleh suit une démarche similaire. Nourrie des souvenirs gustatifs de son enfance à la ferme, où elle cuisinait aux côtés de sa mère et de sa grand-mère, elle cherche à transporter ces arômes au-delà du monde arabe. Sa cuisine Khaleeji est un magnifique hommage à son amour pour le patrimoine culinaire du Moyen-Orient.

Une vie luxuriante
Il y a quelque chose de profondément émouvant dans le son d’un train ; il vous emporte dans un voyage intemporel. Un voyage qui traverse une partie du désert d'Ad-Dahna, un corridor naturel reliant l’effervescence de la métropole du Royaume à la chaleur sableuse mais verdoyante d’Al-Hofuf. Entourée de paysages luxuriants composés d’immenses palmeraies, de rizières et de champs de légumes, la ville est nichée dans l’oasis d'Al-Ahsa, près de la montagne d'Al-Qarah, toutes deux riches d’une histoire fascinante.

Al-Hofuf est une ville paisible, imprégnée d’histoire et d’un savoir-faire artisanal. Au cœur du quartier Al-Koot se trouve le souq Qaisariah, un lieu où les habitants se réunissent pour échanger et vendre leurs produits, souvent faits à la main. L’air y est empli d’un mélange envoûtant de senteurs orientales. On y trouve des abayas, thawbs et bishts (manteaux traditionnels). Les artisans y proposent divers objets faits main, notamment de la poterie, des paniers tissés et des décorations en feuilles de palmier, un hommage au patrimoine agricole d’Al-Ahsa. Le souq regorge aussi d’épices, d’herbes aromatiques et d’encens précieux tels que l'olifant, le oud et la myrrhe. Juste à côté, un véritable paradis pour les amateurs de dattes s’étend, offrant une variété de produits à base de dattes, ainsi que des légumes régionaux et des douceurs locales.

Des champs d’or
"Le sol de l'oasis d'Al-Ahsa possède une fertilité exceptionnelle, attribuée à divers éléments naturels et géographiques qui favorisent une agriculture luxuriante", explique Jafar, le frère de Zaki Al Salem. La famille Al Salem possède l’une des plus grandes fermes de riz, de légumes et de fruits du pays. Lors de ses études universitaires aux États-Unis, Jafar a été intrigué par les pastèques à chair jaune. "La seule chose à laquelle je pensais, c’était de rentrer chez moi, dans mes champs, et de cultiver des fruits aux couleurs les plus variées", raconte-t-il. "Nos principales cultures, en dehors de notre exceptionnel riz Hassawi, sont les agrumes comme les oranges et les citrons, ainsi que les concombres, oignons, poivrons, aubergines, graines de sésame rouge, gombos et toutes mes variétés de pastèques colorées, allant du jaune à l'orange, au rouge et au vert."

Les pastèques, à la chair juteuse et vibrante, sont typiquement disponibles durant la saison chaude. Elles prospèrent grâce à l’environnement unique de l’oasis, qui leur offre une terre fertile et un approvisionnement constant en eau, même au cœur du désert. Le climat chaud d’Al-Ahsa et la nappe phréatique abondante confèrent aux pastèques une saveur sucrée intense et une couleur riche, en faisant une boisson naturelle très prisée des habitants en été.

La chair rouge ou rose foncé des pastèques d’Al-Ahsa est due à leur teneur élevée en lycopène, un pigment naturel qui leur donne aussi des bienfaits pour la santé. Leur épaisse écorce verte, souvent striée ou marbrée, les rend résistantes et adaptées au transport, garantissant ainsi qu’elles arrivent en excellent état sur les marchés locaux. Elles sont un pilier de l'agriculture locale, appréciées pour leur équilibre parfait entre douceur et teneur en eau,  idéales pour le climat aride de la région.

Les rares graines de sésame rouge, cultivées par la famille Al Salem, possèdent une saveur unique et de nombreuses vertus nutritionnelles. "Leur goût de noisette distinctif est utilisé dans la tahini saoudienne, saupoudré sur notre pain, et intégré à plusieurs plats salés et sucrés que nous servons à table", explique Jafar.

Juste à côté des champs, les citrons sont marinés et pressés, conservés en bocaux pour être utilisés dans des salades ou transformés en sirop pour des jus frais, très appréciés des locaux. Séché sur des toiles de lin, le citron passe d’une couleur brun clair à celle du célèbre citron noir. "Les gens peuvent acheter nos produits ici, directement auprès de nos champs, ou dans nos boutiques au village", poursuit Jafar. "Nous avons la chance que notre oasis, grâce aux sources artésiennes naturelles, assure un approvisionnement constant en eau. Cette irrigation naturelle, combinée à notre climat chaud, nous permet de cultiver toutes ces richesses."

À l’autre bout de la ville, une autre surprise attend les visiteurs : Abufahad Bakery. C’est ici que l’on trouve le meilleur pain rouge (Khubz Ahmar), fabriqué à partir de farine de riz Hassawi, non seulement à Al-Ahsa, mais dans tout le Royaume. Dès le lever du soleil, les habitants viennent chercher les pains encore chauds, préparés selon la méthode traditionnelle : cuits dans des fours en poterie, alimentés par des troncs de palmier, leur donnant une saveur authentique et terreuse. Leur teinte rougeâtre est généralement obtenue en intégrant des dattes à la pâte. Le Khubz Ahmar est disponible nature ou avec du sirop de dattes fait maison, qui lui confère une douceur caramélisée, parfaite pour compléter les saveurs de noisette du fenouil et des graines de sésame saupoudrées sur le dessus.

Le battement du désert
Poussière, sable, bourdonnement des mouches et innombrables chameaux. Situé à 20 kilomètres d'Al-Hofuf, le marché fait entendre son grondement bruyant de loin. Quelques chameaux sont parqués, mâchant du foin disposé sur des étagères. D’autres traversent la route en troupeau, guidés par des véhicules et surveillés par un berger. Ces animaux semblent bien plus nerveux que ceux que l’on rencontre en pleine traversée des dunes. Chaque jour, à 15 heures, la vente aux enchères en plein air commence. C’est comme si les chameaux le ressentaient. Pourtant, tout demeure calme et serein. 
Le Dr Mohsen explique qu’au marché, les bergers respectent leurs animaux, et que cet endroit est bien plus qu’un simple lieu d’échange : "C’est un lieu de rencontre, un rassemblement social où les éleveurs partagent leurs histoires. Ce marché incarne de façon vivante le lien entre la vie du désert et le commerce traditionnel.  Il exprime le respect, la sérénité et l'hospitalité du peuple saoudien. Il reflète le patrimoine du Royaume et l'importance constante des chameaux dans l'identité et l'économie du pays."

Alors que le train quitte Al-Hofuf pour retourner à Riyad, les mots de Mahmoud Darwish résonnent avec encore plus de puissance. Le long des rails, de la capitale vibrante au désert paisible, en passant par la luxuriante oasis d'Al-Ahsa, on ressent pleinement la connexion entre tradition et modernité : le sommet de l'hospitalité et du raffinement que le Royaume a à offrir.

Par Kirsten Ujvari