Sur la piste de la tielle originelle
D’un souvenir d’enfance, à Sète, en passant par Naples, itinéraire d’une quête, à la recherche de la plus belle des tielles, plat du pauvre en route pour une IGP à Sète.
D’un souvenir d’enfance, à Sète, en passant par Naples, itinéraire d’une quête, à la recherche de la plus belle des tielles, plat du pauvre en route pour une IGP à Sète.
C’est l’histoire d’une romance qui n’aurait jamais dû exister. Celle d’un enfant (moi) dont la mère n’aimait pas tellement cuisiner et d’une tourte au poulpe venue du pays de George Brassens. La tielle, c’était cette drôle de pizza couverte qui se glissait parfois jusqu’au caddie de mes parents. Cette tourte amoureusement sortie de son emballage plastique et réchauffée au micro-ondes par ma mère. Cette pâte molle qui renfermait une savoureuse bouillie tomatée… Et bizarrement, j'aimais ça.Puis j’ai grandi, quitté le cocon familial et la tielle est devenue un lointain souvenir, comme une love story estivale qui laisse un souvenir agréable mais diffus. Pourtant, la flamme devait se rallumer. Un jour où je faisais route vers Marseillan, un panneau sur l’autoroute attira mon attention. « Prochaine sortie : Sète » La ville de la tielle ! Et si j’allais saluer mon flirt de jeunesse.
Mon souvenir d’une petite tarte rondelette mal dans sa peau s’est effacé devant une tourte aux formes aguicheuses et à la farce pleine d’assurance. Nettement plus canon que « ma tielle ». Notre romance repartait sur les chapeaux de roue. Transi d’amour, je me mis en quête de la plus belle d’entre elles aux quatre coins de la ville. Celle qui saurait faire de moi un homme heureux. Dassé, Cianni, Paradiso, je me rendais dans toutes les tielleries de la ville en suivant les recommandations autochtones. Tout était bon et merveilleux, je croquais des parts d’amour à pleines dents tel un naufragé qui retrouve sa promise. Mais une révélation allait tout changer, la tielle que j’avais rencontré m’avait menti. En fait, elle n’était pas vraiment du coin. Et malgré son maquillage soigné et sa coquetterie, elle n’était pas authentique. Le secret était révélé. La tielle sétoise… ne l’avait pas toujours été.
Chez Carlo, le « pape de la tielle »
Je découvrais qu’elle avait débarqué à Sète dans les valises de pêcheurs venant d’un petit village du sud de l’Italie, nommé Gaeta. Pour faire simple, à l’issue de la réunification en 1860 le pays connaît une pauvreté croissante dans ses campagnes. Du coté maritime, la situation n’est guère plus réjouissante et les pécheurs de la région de Naples doivent se résoudre à l’exil. C’est ainsi que commencent à débarquer les Italiens, et dans leurs bagages, la tielle, notamment au port de Sète. Je me devais d'aller à sa rencontre et m’envolais donc pour Naples, à une heure de train de Gaeta partagé entre l’excitation et la nervosité. Allais-je être déçu ?
On m'avait donné l'adresse de Carlo Avellano, « Le pape de la tielle ». Avec sa femme et leur fille ils tiennent la petite pizzeria del Porto. « On avait un bar avant de s’installer ici en 1990, je ne savais pas faire de pizza mais j'ai dit à ma femme que j'apprendrai », et effectivement il a appris. Mais, deux ans plus tard, il a une révélation « Je me suis dit que j'allais vendre de la tiella » (de teglia, le moule dans lequel on la fait cuire, dérivé du latin teglium, signifiant « ce qui couvre »). La pâte est la même que celle de la pizza, mais à la différence de sa cousine française on n'y ajoute pas de tomate. Plat de pauvre, la tiella se popote à la maison.
Personne n'en vend à cette époque alors que dans un même temps l’Agathoise Adrienne Verducci, qui tenait la Reine des mers, l’étal de son pécheur de mari, en faisait déjà le commerce sur le port de Sète en 1936. D’ailleurs, son ombre plane toujours sur la ville puisque la majorité des tielleries du coin sont tenues par ses descendants. Derrière la diversité des noms des enseignes, on retrouve la plupart du temps un membre de la famille. Tous sont impliqués depuis 2014 avec les fabricants de tielle du bassin de Thau pour obtenir l’IGP Tielle de Sète, label qui garantit que le produit est transformé dans une zone géographique déterminée, malgré les lenteurs de l’INAO. Une IGP pour protéger une tradition en limitant les versions industrialisées d’un savoir-faire artisanal et maintenir les ressources économiques, car la tielle, c’est plus de 300 emplois directs et 17 millions de chiffre d’affaires en 2018.
« Moi, j'ai décidé d'en vendre dans ma boutique et c'est vite devenu mon produit star. Je ne vendais quasiment plus de pizza. » Riche idée ! Au fil des années les pèlerins comme moi arrivent de toute l'Italie, pour manger la tiella de Carlo. Et je comprends vite pourquoi. Je le regarde étirer sa pâte et garnir ses moules pendant qu'il m’explique : « Les femmes des pêcheurs et des paysans préparaient la tiella avec ce que les gens n'achetaient pas : les anchois, le poulpe, les légumes abîmés... Et ensuite elles ajoutaient une pâte dessus pour pouvoir la conserver plusieurs jours. » Des étoiles dans les yeux je vois les merveilleuses tourtes sortir du four les unes après les autres. Qu'elles sont loin mes tielles de supermarché.
Je ne peux plus attendre, je demande à Carlo de me faire une sélection, poulpe, aubergine, morue, je veux tout goûter. Car oui, ici on ne fait pas dans le mono produit. Carlo s'installe avec moi et je savoure religieusement ce moment tant attendu. Je mange la tiella, la vraie. La pâte est délicieusement croquante et les garnitures sont savoureuses. Mais n’atténuent pas la culpabilité de mon infidélité à la tielle. Et cette amère résolution : je laisserai une tielle dans chaque port.
Texte et photos par Florian Domergue
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