Faire sans avec sens
Les feuilles du grand figuier qui balancent au vent, le reflet de la lumière dans le four solaire planté au milieu du vaste jardin, l'ombre des oliviers qui danse sur les tables nappées, l'odeur émanant de ce verre de kéfir émeraude à la menthe sauvage... Si s'attabler à l'Auberge la Feindre, c'est toujours une fête des sens, la cheffe Nadia Sammut y fait aussi une fête du sans.
Les feuilles du grand figuier qui balancent au vent, le reflet de la lumière dans le four solaire planté au milieu du vaste jardin, l'ombre des oliviers qui danse sur les tables nappées, l'odeur émanant de ce verre de kéfir émeraude à la menthe sauvage... Si s'attabler à l'Auberge la Feindre, c'est toujours une fête des sens, la cheffe Nadia Sammut y fait aussi une fête du sans.
Premier établissement étoilé à avoir proscrit le gluten et le lactose, l'Auberge luberonnaise de la Fenière a ouvert la voie d'une cuisine de haute voltige, notamment compatible avec les intolérances et allergies au gluten et au lactose. C'est parce qu'elle-même en souffre depuis la naissance que Nadia Sammut a développé des recettes qu'elle peut manger, cuisiner et transmettre. "Je suis née cœliaque et je vis en permanence avec un déséquilibre de l'intestin grêle, un déficit enzymatique à la protéine de gluten, et un appauvrissement de la flore intestinale. Dans mon cas, même une infime trace ou présence de gluten déclenche sur l'instant de très grosses crises", lit-on dans son livre, paru en 2020 chez Actes Sud. Sur la couverture, on la voit en train de jouer avec ses farines de sarrasin, de pois chiches et de châtaigne. Un jeu, c'est ainsi que la cuisinière qui souhaite "construire un monde au goût meilleur" voit la cuisine du "sans". Un terrain d'expression où les goûts et les textures sont en liberté. "J'ai eu envie de travailler la précision : les levains, les techniques, les farines vivantes, la panification libre. J'ai investi dans un moulin à meule de pierre, qui m'est apparu comme l'objet de tous mes désirs et de toutes mes possibilités".
Empreinte gastronomique
À force d'essais, d'erreurs, d'essais encore et de perfectionnements, Nadia Sammut s'est forgé un répertoire inédit de recettes aussi vivantes qu'elle, sans aucun additif. "J'ai fait des études de biochimie et ça m'aide beaucoup dans le végétal ou dans la panification. Je me suis formée toute seule, dans la cuisine où ma mère me laissait un petit coin pour essayer des recettes", explique-t-elle. "J'ai commencé à écraser des châtaignes, des pois chiches, des grains... Je me suis mise à imaginer les futurs souhaitables avec les légumineuses, pour qu'elles rentrent dans le placard de Monsieur et Madame tout le monde". Parmi les troubles obsessionnels culinaires de Nadia, le pois chiche et l'amande tiennent le haut du pavé. Confectionner un lait de pois chiches parfait pour une glace onctueuse et profonde en goût, se servir de la traditionnelle panisse provençale comme une base pour un lemon curd végétal, utiliser la crème d'amandes montée à l'eau de coquillages pour enrober un morceau de daurade marinée au shio koji (marinade)... les possibilités sont infinies avec ces deux ingrédients issus du terroir de Luberon, et font oublier le blé, le beurre ou la crème. "Ce qui me manquait, c'était l'empreinte gastronomique : il n'y avait pas de panification ni de pâtisserie (qui convenaient à son alimentation, NDLR), mais seulement des produits de substitution. Je me suis dit que c'est à moi d'ouvrir la voie, car j'ai la chance d'être issue de ce milieu et surtout, d'être en vie !".
Jusqu'au-boutiste, la cheffe a alors non seulement investi dans un moulin à meule de pierre, créé Kom&Sal, sa marque de produits bio sans gluten ni lactose à destination des professionnels du secteur, mais elle a aussi remonté les filières jusqu'à faire planter par des lycées agricoles de la région des parcelles de pois chiches, de sarrasin ou de sorgho en bio. Rien n'est laissé au hasard par cette entrepreneure et son équipe qui s'affairent dans le laboratoire de production accolé au restaurant étoilé : "Si je veux aller convaincre mes pairs dans les milieux de la gastronomie, de la boulangerie et de la pâtisserie, il faut un produit d'excellence et des techniques travaillées", détaille Nadia en remuant son levain de sarrasin qu'elle utilise depuis plus de huit ans et qu'elle a même baptisé Jean-Pierre. Sur les échelles du laboratoire, une multitude de pains au sarrasin ou au maïs, cakes au chocolat et sablés délicieux, prêts à partir vers les cuisines d'hôtels ou de restaurants n'ayant pas toujours la capacité de produire une gamme sas gluten ni lactose. Inventer, cuisiner et transformer, oui, mais hors de question de laisser les professionnels sur le carreau pour autant. Nadia a à cœur de partager le savoir autant que les saveurs et d'accompagner boulangers et pâtissiers en leur proposant des formations ainsi que des mix de farines prêtes à l'emploi.
Un pain au sarrasin à la fois, la démarche nourricière aussi vertueuse que délicieuse de Nadia Sammut inspire et donne envie de faire avec elle plutôt que sans.
Par Laurène Petit
Photos Claire Gaby