Pierre Troisgros, mort d’un immortel
Pierre Troisgros s’est éteint à l’âge de 92 ans. Il était le dernier grand de la bande à Bocuse et l’un des acteurs majeurs de la Nouvelle cuisine.
Pierre Troisgros s’est éteint à l’âge de 92 ans. Il était le dernier grand de la bande à Bocuse et l’un des acteurs majeurs de la Nouvelle cuisine.
Une bonne humeur permanente, la parole agile et taquine, un appétit de la vie aussi vif que la cuisine qu’il avait su faire naître au milieu du siècle dernier. Pierre Troisgros était tout ça, géant débonnaire, géant tout court, nom parmi les grands noms d’un art à la Française qu’il avait su porter hors frontières – et en Concorde – dans les années 80. Tout ça en partant de la gare de Roanne.
Avec son frère Jean, ils avaient repris dans les années 50 les fourneaux de l’auberge chic imaginée par leur père, Jean-Baptiste. Ils en firent l’un des grands restaurants les plus connus au monde grâce notamment à ce plat d’audace absolu que fut le « saumon à l’oseille ». Une fine escalope de saumon, rosée, déposée sur une tombée d’oseille à peine saisie et d’une crème acidulée. Avec cet ovni – il faut se replacer à l’époque de la cuisine bourgeoise aussi empesée qu’intangible ayant encore cours dans les années 70 –, ils marquaient les prémices de l’immense aventure gustative que fut la Nouvelle cuisine.
Jean et Pierre Troisgros, de chefs, devinrent instantanément des icônes. Et l’auberge de la gare de Roanne l’une des tables les plus courues de la planète, triplement étoilée durant plus de cinquante ans, réputée bien au-delà de la Côté Roannaise qu’il aimait tant.
Mais Pierre Troisgros, chef et chef de famille, est aussi le fondateur d’une nouvelle dynastie : celle des cuisiniers sensibles. À l’instar de son fils Michel, qui reprit la maison familiale au milieu des années 90 et sut la transcender en même temps qu’il imaginait une « nouvelle » Nouvelle cuisine. Puis récemment César, invité la semaine dernière encore sur la Grande scène du festival Omnivore, pour livrer sa vision poétique de la « nature » Troisgros dans le nouvel écrin d'Ouches.
César Troisgros disait encore combien cette notion de « famille Troisgros » encapsulait son travail : « dans ce plat, il y a tout à la fois : mon grand-père, mon père et moi. » On ne pouvait pas rendre à Pierre Troisgros un hommage plus immortel.
Luc Dubanchet
Photo : Pierre et Jean Troisgros
© Anthony Blake