Gilles Deshors, apiculteur : « 2021 a été notre pire année »
Le monde des abeilles n’a jamais été aussi fragile qu’aujourd’hui. L’espèce s’éteint et le miel peine à être produit. On fait le point avec Gilles Deshors, cofondateur de la Miellerie des Gorges de la Loire.
Le monde des abeilles n’a jamais été aussi fragile qu’aujourd’hui. L’espèce s’éteint et le miel peine à être produit. On fait le point avec Gilles Deshors, cofondateur de la Miellerie des Gorges de la Loire.
L’abeille a été déclarée « grande cause nationale » en 2022 par le gouvernement. Pourtant, cela fait déjà plus de dix années que l’insecte pollinisateur subit les affres du mauvais temps, du dérèglement climatique et sature de produits chimiques. Sans grande surprise, 2021 a été une annus horribilis pour les apiculteurs qui ont connu une météo cauchemardesque pour leurs ruches. Gilles Deshors, apiculteur et cofondateur de la Miellerie des Gorges de la Loire revient sur les difficultés et les espoirs de son métier qui, malgré tout, éveille des vocations.
Avant toute chose, rappelez-nous en quoi les abeilles sont des actrices majeures de notre environnement et de notre alimentation ?
Une abeille vit l’été, entre 35 et 45 jours. Dans une ruche, environ 2 000 abeilles naissent par jour. L’abeille connaît différentes étapes durant sa courte vie. À sa naissance, elle est nourrice, ensuite cirière, un moment important où elle construit les alvéoles de cire. Elle devient par la suite ventileuse – elle bat des ailes pour produire de l’air et ventiler la ruche – et enfin, à la fin de sa vie, elle entreprend les travaux extérieurs en tant que butineuse, c’est là qu’elle travaille le plus. Elle ramène de l’eau à la ruche, du nectar pour produire du miel et du pollen pour les vitamines.
Comment s’organise votre activité ?
Nous sommes trois associés à la miellerie. Nous gérons 800 ruches en production de miel et 80 autres en production de gelée royale. On transhume nos ruches dans tout le sud-est de France : l’Ain et l’Isère pour l’acacia, l'Ardèche pour le châtaignier, la Drôme pour le miel de lavande, jusque dans le Jura pour le sapin. Le but est de limiter au maximum les kilomètres, accentué par le prix du gasoil actuellement. On n’a pas trop le choix, l’apiculteur doit bouger pour produire. À ce jour, 95% des apiculteurs professionnels transhument pour produire.
Le pic de mortalité des abeilles et, de fait, la production de miel sont au centre de toutes les attentions. Quel état des lieux faites-vous ?
Je suis apiculteur depuis trente ans, 2021 a tout simplement été ma pire année. Pour rappel, le début du printemps a été marqué par le gel, toute la floraison a été gelée. Après avoir transhumé en montagne, évidemment le gel y était également. Pour que l’abeille travaille, la température doit osciller entre 15 et 18 degrés, on ne dépassait pas les 10, toujours aucune production de miel. On a enfin décidé de migrer vers le châtaignier, la floraison dure 15 jours, on a récolté 12 jours de pluie. En désespoir de cause, nous sommes partis dans la Drôme pour la lavande, il s’agit du seul miel que nous avons produit. La pluie a également constamment lavé le miellat des sapins, il ne nous restait pas grand-chose pour vivre derrière. Ce qui nous a sauvé, c’est le stock de miel des années précédentes. On l'a vidé ainsi que toute notre trésorerie. Le constat est que si nous vivons une autre année comme 2021, on déposera le bilan.
À ce jour, 80% des apiculteurs se trouvent dans la même situation. L’année s’annonce meilleure, même si le gel de mars a eu lieu un peu plus tôt. On ne le saura que dans un mois… En sept ans, le dérèglement climatique a tout amplifié. Autrefois, en mauvaise saison, on pouvait tourner à 20 ou 22 kilos de miel par ruche, nous en sommes parfois à 0 kilo. Nous n’avions jamais connu cela, et c’est clairement dû au dérèglement climatique. Cependant, un énorme effort a été fourni sur d’autres points : beaucoup moins d’intoxication aux pesticides, les apiculteurs font nettement plus attention.
L’abeille a été déclarée « Grande cause nationale » en France, selon une résolution votée par l’Assemblée Nationale en 2021. Celle-ci vise à limiter l’extinction de l’espèce et à mettre en exergue l’urgence de la mise en place de dispositifs pour son sauvetage. Comment cela se traduit-il concrètement ?
Je n'ai pas encore vu grand chose sur mon exploitation. Je pense que nous sommes cependant un peu plus écoutés. Par ailleurs, nous n'avons pas pour habitude de recevoir des subventions. L'année dernière nous avons pu être aidés par le département et la Région, et cela a été évidemment bienvenu, considérant les difficultés que nous avons pu rencontrer. Dans le département de la Loire, la Direction Départementale des Territoires a été très réactive et il faut le souligner. Le gouvernement a tout de même insisté sur le sujet des apiculteurs et il y a de plus en plus de jeunes qui s’installent.
Cela ne décourage pas de voir l’état dans lequel se trouve l’apiculture en général ?
Les écoles d’apiculture sont pleines et ils peuvent bénéficier d’une aide à l’installation. Cependant il y a ceux qui rêvent d’apiculture et la réalité. C’est un métier difficile, il faut énormément d’investissement, et produire du miel coûte cher. Ce qui est compliqué de nos jours c’est de trouver les emplacements, car il y a une pression foncière énorme. Il y a toujours le miel d’importation qui est évidemment moins cher que le miel français. La Chine est l’un des plus gros exportateurs de miel au monde, l’Ukraine est elle aussi un gros producteur agricole…
Est-ce que ces dérèglements climatiques, ces récoltes compliquées jouent également sur le goût du miel ?
Non, d’un point de vue organoleptique, le miel est toujours bon, tout cela joue surtout sur la production. La France peut se targuer d’avoir un très bon miel, varié, qualitatif, cela ne change pas, les fleurs sont identiques, mais le climat est décisif. On joue au poker, on pose nos ruches sur certains sites et on attend de voir ce que la nature souhaite nous donner. L’agriculture sème, gère, nous on vit de la nature sauvage, on vit de ce qu’elle veut bien nous offrir. J’aime nous comparer au pêcheur qui attend de voir quels poissons finiront dans ses filets, on ne maîtrise pas tout malgré les moyens que l’on met.
Pour aller plus loin : l'intelligence artificielle au service des abeilles
Nos ruches sont équipées de balances électroniques afin d’éviter les trajets. On peut suivre une ruche à distance, on évite ainsi les allers-retours et les interventions. La pesée journalière est un outil vraiment indispensable dans notre activité. Nous devons également mettre des puces GPS sur nos ruches afin d’éviter les vols. Les apiculteurs doivent dorénavant investir dans ce genre de technologies.»
Propos recueillis par Hannah Benayoun