Sébastien Richard : l’inclusif protéiforme
Sébastien Richard, fondateur du République à Marseille, est bien plus qu’un chef. Et République, bien plus qu’un restaurant : un passeur — et un lieu — universel à forte valeur humaine ajoutée pour les grandes thématiques de la restauration et de l’alimentation. Portrait d’un développeur social.
Sébastien Richard, fondateur du République à Marseille, est bien plus qu’un chef. Et République, bien plus qu’un restaurant : un passeur — et un lieu — universel à forte valeur humaine ajoutée pour les grandes thématiques de la restauration et de l’alimentation. Portrait d’un développeur social.
Il est presque midi, au République à Marseille. Les tables nappées de blanc sont décorées de fleurs fraîches récupérées au dîner de gala de la Ligue contre le Cancer, organisé par le chef Sébastien Richard. Les chaises chinées, toutes décorées en modèle unique par un artiste, attendent les clients. Des clients qui peuvent être chefs d’entreprise ou sans-abri; ce restaurant solidaire accueille tous les publics, avec une tarification différenciée. 1€ symbolique pour les publics les plus précaires, 35€ le menu complet pour les autres. Cette mixité sociale a été voulue par Sébastien Richard, qui souhaitait proposer non pas seulement un repas, mais “l’expérience d’un restaurant gastronomique” aux personnes qui ne peuvent pas se l’offrir.
Sébastien Richard ne se définit pas comme chef, mais comme “acteur engagé” de l’alimentation. Parallèlement à l’ouverture de son restaurant, il a fondé une association, La Petite Lili, qui œuvre pour l’insertion des personnes éloignées de l’emploi. Des hommes et femmes que l’on retrouve en cuisine et au service au restaurant. Touche-à-tout Ancienne brasserie, le République est un lieu protéiforme, où les colonnes haussmaniennes côtoient les portraits monochromes de l’artiste Sébastien Marron, où l’on trouve des costumes-cravate et des baskets trouées, où l’on peut jouer à la pétanque au sous-sol et boire un cocktail au rez-de-chaussée. On y trouve une salle classique de 200 couverts et un espace gastronomique qui invite des chefs en résidence, pour un repas plus haut de gamme. On peut même s’y offrir une expérience “Dans le Noir”, où les repas, dans l’obscurité complète, sont servis par des personnes non-voyantes.
Véritable touche-à-tout, Sébastien Richard a également ouvert une pizzeria, Mia Bella, à la Joliette, qui fonctionne sur le même principe de restaurant d’insertion et repas à 1€. Il prévoit également l’ouverture d’un lieu sur la Canebière, avenue emblématique de Marseille, et s’attaque à la capitale avec l’ouverture d’un restaurant République, Quai de la Râpée à Paris, au printemps 2025. Ces lieux, ce chef d’entreprise visionnaire les veut comme “un maquillage pour former les personnes aux métiers de l’alimentation”. Les restaurants ouverts par Sébastien Richard se veulent divers pour montrer aux jeunes en formation l’extrême variété des métiers, des approvisionnements et des savoir-faire de la restauration. Il a créé cette année un centre de formation, l’EMAHI (Ecole Marseillaise de l’Alimentation et de l’Hôtellerie Inclusive). Cette école forme les personnes en reconversion et éloignées du marché du travail aux métiers de l’alimentation (restauration, boulangerie, pâtisserie…) qui manquent cruellement de bras.
Chef CMA-CGM L’homme emmène ses pairs avec lui dans sa “vision inclusive” : il réussit à fédérer 100 cheffes et chefs au sein de son association, la Petite Lili. Il a organisé, la veille où nous l’avons rencontré, un dîner de gala avec les plus grands noms de la gastronomie marseillaise.
Autour d’un banquet de haute volée, il y lève 113 000 euros pour la Ligue Contre le Cancer. Originaire de Tours, le chef se veut pourtant fortement attaché à Marseille et à la gastronomie méditerranéenne. Il fait ses classes aux côtés de Thierry Marx et d’Alain Couturier. Il arrive en Provence il y a 20 ans, à Istres, où il ouvre la table de Sébastien, qui gagne une étoile Michelin. Sébastien Richard ne quitte alors plus le Sud, et devient le chef du Président de la CMA-CGM à Marseille, tout en tenant un restaurant confidentiel dans le quartier populaire du Panier. Sébastien Richard s’engage pour l’insertion et l’accessibilité, mais également en faveur d’une alimentation responsable. Ambassadeur de l’Agence Bio, il s’invite aussi au restaurant marseillais Le Présage, qui fonctionne uniquement à l’énergie solaire. Ses restaurants sont labellisés Ecotable et proposent entre 35 et 60% de produits bio et locaux. Il travaille exclusivement des produits de saison. Jamais de foie gras ni de saumon à la carte du République; qu’importe, le terroir provençal est suffisamment riche en aliments d’exception pour qu’ils ne manquent pas au menu.
Tarama d’oursin Dans l’assiette ce midi, un thon rouge snacké de Méditerranée, bien entendu; et un tarama d’oursin et huître de Camargue en tempura; de quoi sortir de table rechargé en iode. Sur le menu du jour, on recense pas moins de 11 références de fruits et légumes : pak-choï, chou-fleur, fenouil… sont magnifiés par des cuissons maîtrisées et des condiments acidulés, comme cette purée de patate douce relevée d’un gel soja-yuzu. En dessert, une délicate mousse de coing, raisin blanc, crumble et clémentine. Le coing, ce fruit provençal rustique et oublié, ne dévoile pas si facilement ses saveurs, mais il est magnifié dans l’assiette par Sébastien Richard et ses équipes.
La carte du République est limitée, volontairement, afin de proposer des produits de qualité; et on y trouve toujours une ou deux options végétariennes, ou vegan. Dans une vision de réduction du gaspillage, on trouve également des demi plats, pour les petites faims. Un parti pris du chef, qui influe sur le chiffre d’affaires, mais qui permet de limiter les déchets produits par le restaurant.
Côté boissons, Sébastien Richard travaille avec Rouge Provence, un collectif de vignerons qui propose des cuvées solidaires des collègues ayant subi des difficultés dans leurs vignes. La bière et le soda viennent de la Minotte, une brasserie artisanale marseillaise. Les alcools du bar à cocktail sont fabriqués à Aubagne. Les jus sont issus de fruits déclassés, transformés localement dans une légumerie solidaire. Baptisée Les Moches, la marque propose des jus, donc, mais également des confitures ou des légumes transformés issus d’invendus. Une deuxième vie pour des fruits et légumes, sauvés de la poubelle pour trôner sur les tables des restaurants, mais aussi dans les cantines marseillaises ou dans les supermarchés. Un projet anti-gaspi, accessible et solidaire concocté par… Sébastien Richard. Un homme résolument engagé.
Par Pauline Petit