Selon que vous parlez à un pâtissier ou à un boulanger, le terme n’est pas le même. Les cuisiniers disent "charcuterie pâtissière" et les pâtissiers, "pâtisserie charcutière". L’anecdote est savoureuse quand on sait que ces deux corps de métier-là se crêpent le chignon depuis le Moyen-âge, période à laquelle le terme apparaît en même temps que la profession est codifiée. Les pâtissiers se divisaient alors en deux catégories distinctes : aux oubloyeurs les hosties, les oublies et les pâtisseries légères ; aux pâtissiers, alors spécialistes de la pâte et de l’enrobage par la pâte, les pâtés à la viande, au fromage et au poisson. Le pâté en croûte était leur principale spécialité, disent les grimoires. Plus tard, au XVIe siècle, ils se regrouperont au sein du corps des "pain d’épiciers", jusqu’à l’histoire contemporaine où il est admis que le charcutier et le boucher proposent viandes et charcuteries variées ; le boulanger et le pâtissier des pains et gâteaux ; le traiteur et le restaurateur, de la cuisine. Mais, vous le lisez au fil de cette revue, le métier de boulanger-pâtissier se rapprochant de plus en plus de celui de restaurateur, la pâte au service du salé revient en force dans les boulangeries. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement.
Boulangerie cuisinée
Pâtés-croûte, saucissons briochés, flamiches, vol-au-vent, bouchées à la reine et feuilletés font partie des grands classiques du répertoire des charcutiers-traiteurs. Ringardisées ou boudées pendant quelques décennies, ces pâtisseries charcutières ont la cote aujourd’hui à côté des sandwichs chauds comme le hot dog ou le panini, proposés dans les boulangeries dont l’offre comprend un lunch cuisiné et qui n’est pas salade, pizza et sandwich. Certaines poussent même le concept plus loin, à l’image de Mamiche qui a ouvert une troisième boulangerie orientée traiteur à Paris après ses deux boulangeries. Quiches, feuilletés, friands à la saucisse, tartes et tourtes de saison et 100 % fait maison complètent cette nouvelle offre de restauration boulangère savoureuse, décontractée, consciente et rassurante.
Chez Mamiche traiteur, on démarre au petit-déjeuner le premier des nombreux moments de restauration variée de la journée. Avec un facétieux Mac Mamiche, un egg muffin au bacon. Au déjeuner, en format mini ou maousses, des sandwichs au pain de campagne ou en focaccia faits sur place ou sa salade avec des produits de qualité, tel du véritable jambon Prince de Paris ou leur fameux Sausage roll au fenouil grillé et à la saucisse. Le week-end, elles popotent de bons plats familiaux (lasagnes, plats à partager) qui rappellent le traiteur et le commerçant de quartier, métiers qui se perdent.
Cuisine boulangère
Les cuisiniers s’intéressent aussi à cette approche pâtissière et boulangère de la restauration. Yannick Delpech, à la tête du restaurant Des Roses et Des Orties à Colomiers (31), a ouvert sa charcuterie pâtissière, Melsàt, à Toulouse en 2021. Tourtes, pâtés en croûte, feuilletés... sont autant de marqueurs du lieu. En ville et en périphérie de Lyon, Matthieu Viannay, double chef étoilé et MOF, a ouvert des Épiceries-comptoirs de son restaurant la Mère Brazier, institution de l’alimentaire local, à la fois boulangerie avec sa baguette Brazier et ses pains spéciaux au levain, charcuterie, crèmerie, pâtisserie et cave à vins. Une innovation partie de l’histoire de la maison : l’épicerie-comptoir rend hommage au « porte-pot » (petit bistrot), première table datant de 1921 d’Eugénie Brazier, première femme triplement étoilée de l’histoire. Un projet que le repreneur de l’illustre maison depuis 2008 a mené avec Gilles Demange, fondateur du Championnat du monde de pâté-croûte. Ce concours, qui se tient annuellement depuis 2009 a contribué au retour en grâce de la pâtisserie charcutière suprême, patrimoine vivant de tradition et de savoir-faire français, dans les vitrines des boulangers, dont l’image s’en rapproche.
Frédéric Leguen-Geffroy, chef du restaurant parisien Club 90, club de direction de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), champion du monde de pâté-croûte 2023 à sa troisième tentative, s’amuse beaucoup à décliner sa passion en version sucrée. "Cela fait six ans que je fais du pâté en croûte à haut niveau et que j’organise des ateliers mensuels de pâté en croûte, c’est une vraie passion, j’en fais à tout ce que peux ou veux. C’est relaxant", nous confie-t-il. Lors des sessions, il fait travailler un pâté à la viande, un autre au poisson ou aux légumes et un sucré. Ainsi, Frédéric Leguen-Geffroy a pu élaborer des pâtés en croûte (il est Breton, là-bas, on dit « en croûte ») façon poire belle-hélène, à la pistache et au confit de figues, aux quatre épices, à la pomme, poire, coing poché au vin chaud et insert orange...
Autre modèle inspirant, Baston, à Bordeaux. "Une boulangerie dans un restaurant" à la façade jaune pétant, ouverte en mai 2021 par Pauline Celle et Julien Borie, reconvertis et partis de rien à l’approche de la trentaine. Elle boulange dans son microlabo, il cuisine. Elle pétrit au quotidien environ 60 à 70 kilos de pâte (et une jauge maximale à 100 kilos), qui servent à façonner entre 35 et 50 pains pour le restaurant, quelques professionnels et une clientèle vite fidélisée, fan du concept. "Quand y en a plus, y en a plus", sourit-elle. Si certaines semaines sont très intenses et difficiles, ils aiment ce qu’ils font. Pauline : "Baston est pensé comme un équilibre : un bon rendement pour l’entreprise ; un rythme agréable pour nous et pour les gens qui mangent. Nous ne faisons qu’un seul service le midi : les gens ne se speedent pas."
Trois facteurs promettent un avenir florissant aux boulangers-traiteurs-pâtissiers actuels et futurs : ils sont les dépositaires d’un savoir-faire traditionnel inestimable qu’ils transmettent en valorisant les produits régionaux ; la quête de qualité et de produits de confiance des consommateurs conscients de leur savoir-faire pour des saveurs authentiques à base d’ingrédients soigneusement sélectionnés ; la possibilité de toucher un public plus large avec leurs créations de qualité dans la grande distribution, désormais stratégiquement encline à garnir ses linéaires de productions artisanales. C’est le client qui demande. Et le client, c’est immuable, est roi.