Sirha Omnivore ouvre le bal pour ses 20 ans. Une édition qui bouillonne, tant par sa température que par ses sujets abordés. Un forum riche d’enseignements.
Être chef.fe, mener sa cuisine, la faire exister pour soi mais évidemment pour les autres. Comment se démarquer quand la concurrence en cuisine reste une composante décisive tant sur le succès que sur l’échec de l’entreprise. Oui, il faut être, mais il faut aussi paraître, aussi étrange soit-il. Il n’existe quasiment plus de cuisiniers qui fuient les réseaux sociaux, tous se doivent, d’une manière ou d’une autre, peindre sur la toile leurs inspirations, leur menu, faire montre de transparence, pour rassurer, donner envie, gagner leur croûte, ramener les gens à table comme on a pu le voir pendant la pandémie. Comment dissocier présence nécessaire et « hype » du moment, montrer et faire connaître… La journaliste et autrice Laurène Petit a arbitré cette conversation hautement actuelle entre différents acteurs du métier au Forum, coup d’envoi pour ce premier jour de festival.
Emincer sa présence digitale
Tout montrer, émietter, faire connaître ou rester secret, tels sont les enjeux des chef.fe.s aujourd’hui. Emietter sa présence et la rendre à la fois consistante. « Aujourdh’ui tout le monde veut être connu, mais connu pourquoi ? » souligne Emilie Fléchaire, fondatrice de l’Agence Neroli qui accompagne des chefs comme Mory Sacko dans leur communication, essentiellement médiatique. Pour Emilie, un terrain propice à la communication nécessite de savoir pourquoi on fait ce métier, dans quel sens, pourquoi. Le paraître est impossible. « Les chef.fe.s qui s’inscrivent dans une communication pérenne sont ceux qui ont quelque chose à transmettre ». Une ligne de conduite qui oriente également la communication qui ira avec, notamment pour éviter les polémiques, dont les médias sont aujourd’hui friands. Gianmarco Gorni, ex-candidat Top Chef mais surtout actif à Room Service et l’Agence La Relève prône un rapport plus naturel, voire spontané, à la communication en cuisine. Il avoue : « j’ai essayé d’être parfait, ça n’a pas marché, j’ai préféré mettre des conneries, c’est toujours plus drôle que lorsque c’est lisse ». Une communication qui se veut plus naturelle et qui n’empêchera pas forcément les gens de se faire une opinion par eux-mêmes. « Si on a même un article peu élogieux sur le restaurant, ils viendront quand même, ne serait-ce que pour vérifier ».
Ancrer et encrer sa vie de chef.fe dans le réel
« La vie d’un chef s’arrête très peu. C’est une vraie prise de tête, un vrai engagement de faire ce métier ». C’est par ces mots que Guillaume Sanchez a participé au débat « Sage comme une image » au Forum. Le chef de Neso ne se définit pas que chef, cuisinier, mais aussi auteur (déjà 3 ouvrages à son actif), directeur artistique… Des activités qui ne sont pas factices mais qui complètent réellement son travail de cuisinier, une manière d’ancrer dans le réel tout ce qui fait battre le pouls de sa créativité. Mais aussi par les mots, posés sur le papier. L’ouvrage de cuisinier, de chef.fe.s connaît un essor sans pareil depuis des années.
Exit l’Escoffier, la bible unique du chef, chaque cuisinier peut partager au travers du papier son parcours, ses recettes évidemment, mais sa vie privée, parfois, son sens de l’artisanat. « Le livre demeure un objet d’engagement culturel pour une génération ». Comme l’a souligné Alessandra Montagne, cheffe de Nosso au micro de Laurène Petit, le livre permet de dépasser la vie du cuisinier, sortir cette vie des quatre murs du restaurant, sans chercher pour autant à accroître une notoriété : « Je n’ai jamais cherché cette notoriété, quand j’avais ouvert mon restaurant, je n’avais même pas d’argent pour faire des cartes de visite ». Le livre, au-delà des réseaux sociaux, du site internet ou d’une armée de RP, permet de laisser cette archive du savoir-faire comme le souligne Camille Brachet, maîtresse de conférences en science de lʹinformation et de la communication. Pourquoi continuons-nous à nous passionner pour les chef.fe.s ? « Tout le monde mange, cela parle à tout le monde, c’est un enjeu de société qui est même politique ». Du beau manger à travers nos écrans au bon manger au cœur de l’assiette, les cuisiniers font partie de la société, ils continuent, plus que jamais, à consolider ces enjeux.
Hannah Benayoun / (© White Mirror)