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Florence Vincent, stylisme et cuisines de cinéma

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Florence Vincent exerce son oeil expert sur les tournages de Ridley Scott, Patrice Leconte ou encore sur les plateaux de séries. Son rôle, sublimer la cuisine dans les oeuvres de fiction. 

Quelle définition du stylisme culinaire ?

Pour moi, la ou le styliste culinaire est là pour valoriser un produit, un aliment, un plat, sous son meilleur jour dans le but d’être photographié ou filmé. On peut travailler avec une équipe de photographes, ou de chef.fe.s. Dans mon cas, je peux intervenir pour le choix de la vaisselle, définir les textures qui vont intégrer le décor, la mise en scène du plat ou de l’aliment. Mais je peux également intervenir en tant que conseillère pour donner quelques indications pour impacter le visuel. Le stylisme culinaire s’articule entre plusieurs rythmes : couleurs, volumes et proportions. La styliste fait en sorte que ce soit vraiment beau, bon et que le plat donne envie de se jeter dessus pour être dévoré.

Comment votre parcours s’est-il recentré sur la cuisine et la fiction ?

J’ai été diplômée en master de mode et création. Je m’étais intéressée à la cuisine car déjà, j’aimais manger ! C’est ce qui m’intéressait, c’était jouer avec la nourriture comme un matériau plastique, j’aime les grandes tablées, les festins entre copains. Je m’étais également aperçue chez les traiteurs de cette époque, que l’on sortait encore et toujours des structures en polystyrène, du papier aluminium avec des éléments piqués dessus et tout était très kitsch… Certes, ils préparaient de bons plats, mais l’esthétique n’était pas là. J’ai commencé ma carrière dans des studios photos et en parallèle j’étais assistante décoratrice sur des courts-métrages et j’ai fini par devenir cheffe décoratrice sur plateaux. J’adorais la fiction et entrer dans l’univers d’un metteur en scène, défendre des points de vue forts, imaginer la vie des personnages… Si je suis dans la pub, le cinéma ou la série, je fais un tour d’horizon de ce qui est possible de faire en prenant en compte les équipes, les budgets et les possibilités. Tout ce qui prime dans la fiction, c’est l’histoire, mais je peux amener un propos, étayer le discours du metteur en scène et je me dois de connaître le scénario sur le bout des doigts. Travailler autour de l’époque, comprendre les aliments dégustés à ces périodes, composer également avec les intentions du chef décorateur. 

Vous avez travaillé la table médiévale chez Ridley Scott (The Last Duel).

Pour The Last Duel, j’ai travaillé avec Jean-Yves Patte, auteur, historien qui fut conseiller sur Vatel (Roland Joffé), une rencontre magique. Il a fait beaucoup de recherches de son côté, quant à moi, je suis intervenue en tant que styliste culinaire. Il me fallait trouver comment on se devait de présentait les plats. On explorait ces présentations : sur tranchoir, pas d’assiette, beaucoup de pain... C’est un travail énorme de recherche avant tournage avec propositions sur dossier. Sur place, nous avons pu produire tous les plats de manière prolifique, mais pas que. Pour une scène de bal, j’ai, par exemple, saupoudré le sol de cannelle, pour que les danseurs fassent émaner des vapeurs pour être comme « enivrés » par l'odeur. Pour le buffet, nous avions réellement cuisiné, rien n’était factice, la nourriture devait être bonne. On a pu se faire plaisir, travailler beaucoup de parfums, des saveurs, tout en respectant les saisons, en fonction des périodes de tournage et des produits locaux. 



Pour le Maigret de Patrice Leconte, un tout autre navire pour vous, une exploration de la table des années 50.

C’était un tout autre budget bien sûr que le Ridley Scott, une plus petite production française. Il y avait une vraie volonté de mettre notre travail en valeur avec le chef décorateur Loïc Chavanon. J’ai essentiellement étudié une scène de fiançailles et de mariage. Il nous fallait réaliser une pièce montée qui soit dans l’esprit de celle des Kennedy en 1953. J’ai replongé dans l’art plastique. Je suis partie sur des textures réelles d’aliments que j’ai pu travailler comme des matériaux plastiques, et même si cela ne se déguste pas, c’est de la cuisine. On mélange des matériaux, on les marie, pour obtenir un vrai résultat.

J’ai dû également me replonger dans l’Histoire, notamment pour une présentation de toasts imaginée avec un traiteur. Il fallait qu’ils soient similaires à l’iconographie historique des toasts de cette époque, des canapés, très à la mode dans les années 50. Pour l’anecdote, je rêvais de cuisiner pour Gérard Depardieu, de mitonner un vrai plat, le fricandeau de Madame Maigret, mais tout était factice, même le pâté-croûte (rires) !  

L’histoire et le sens des aliments se mélangent donc ?

C’est sûr qu’il est rare de trouver une scène de banquet chez Ken Loach, cependant au cinéma, il faut défendre la présence même d’un sandwich à l’écran. Pourquoi ne pas réfléchir à son aspect ? On peut lui faire dire tellement de choses. On pense par exemple à Charlie Chaplin qui mange sa chaussure dans La Ruée vers l’Or, c’est une scène très puissante. On ne travaille pas uniquement sur du fastueux. 



Vous vous êtes également formée au côté d’une vraie brigade…

On a parfois l’impression de « tricher » à l’image. C’est donc après le tournage d’Emily in Paris que j’ai pu faire un stage chez Jean-François Piège. J'étais auprès de son chef exécutif pendant quatre semaines, je voulais absolument vivre au coeur d’une brigade. Découvrir cette rigueur, ces gestes que l’on n’a pas forcément lorsque l’on est autodidacte. C’est même assez proche du cinéma : il y a une hiérarchie forte par exemple, ce sont des univers qui sont assez proches. 

Quelles sont les chef.fe.s, les courants culinaires qui vous inspirent actuellement, qui pourriez inviter sur un tournage ?

J’ai pu poser cette question à des amis chef.fe.s décorateurs. Je pense que cela pourrait se faire mais ce serait compliqué car il n’y a pas la même logique de travail non plus. Il y a également beaucoup de courants qui m’inspirent : la cuisine végétale, le cru, une cuisine aussi « sauvage », locavore, brute et raffinée. Plein de jeunes chef.fe.s m’intéressent et portent cette cuisine, je pense à Mory Sacko. Sa cuisine, sa démarche. J’adore également les présentations d’assiettes de Louise Bourrat, elle amène autre chose au métier, ce côté sauvage se trouve dans ses assiettes.

Propos recueillis par Hannah Benayoun
 

 

 

Florence Vincent

Visuels

- Croquis recherche de présentation plateau de fruits de mer pour Downton Abbey A New Era (Simon Curtis, chef décorateur Simon Woods, 2022)
© Florence Vincent

- Gérard Depardieu dans Vatel, Roland Joffé, 2000

- Maigret, réalisation de Patrice Leconte, pièce montée réalisée en technique mixte "semi-factice".
© Loïc Chavanon, chef décorateur (2022)

- The Shoe Eating Scene, The Gold Rush, Charles Chaplin (1925)

 

 

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