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Le chocolat en bon état

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De la barre à la tablette, en passant par les confiseries et la couverture de pâtisserie, le chocolat s’est ancré chez les Français en vrai réflexe de consommation.

La consommation chocolatière des Français n’a jamais été aussi régulière. En 2019, plus de 320 000 tonnes de chocolat étaient vendues sur le territoire pour un chiffre d’affaires de plus de 3 milliards d’euros. Chaque foyer français a consommé en moyenne près de 13 kg de produits chocolatés en 2021. Cette même année, le marché faisait tourner 115 entreprises comprenant 90% de TPE, 30 000 emplois dont plus de 15 000 consacrés à la production. Des données qui traduisent des habitudes de consommation variées démontrant un intérêt pour le produit et un besoin de le connaître de plus près. Ce besoin de variété gagne également les spécialistes du chocolat, mus par une affection certaine du produit et une exigence pour sa qualité.

Le chocolat, c’est toute l’année désormais
Sébastien Bouillet nous accueille dans son laboratoire de Miribel, son vaisseau amiral en banlieue lyonnaise, inauguré en novembre 2022. Près de 70 salariés s’affairent ici sur 800 mètres carrés. Un investissement conséquent qui centralise toutes les envies du pâtissier-chocolatier. "Le laboratoire permet d’aller beaucoup plus loin dans la recherche et développement, car le chocolat c’est très technique. On ne peut pas progresser sans outil". Sébastien Bouillet constate aussi une progression en termes de rendement avec son nouveau laboratoire : "On a énormément gagné en productivité. Nous sommes à 50 % de ce que l’on peut faire, en comptant dix postes en chocolaterie". L’idée : pouvoir vendre beaucoup mais mieux: "Le chocolat tombait autrefois à Noël et Pâques, on est sorti de ce diptyque, désormais, le chocolat c’est toute l’année", nous précise-t-il. Nicolas Rozier-Chabert se différencie des chocolatiers confiseurs, mais ses enjeux d’investissements sont tout aussi conséquents. Inspiré par la craft américaine du bean to bar, il recherche avec Sandra Mielenhausen sa compagne et cocréatrice de Plaq, leur marque, à vendre un produit pur, "nu", qui permet au consommateur de découvrir un chocolat sans artifice. "Nous sommes en direct avec nos producteurs, nous travaillons des fèves très pointues, qui sont 4, 5, 6 fois plus chères que le cours mondial du cacao, car il est côté en Bourse". D’après le cabinet Spherical Insights, le marché mondial du cacao et du chocolat devrait connaître une croissance annuelle moyenne de 4,37 % par an entre 2023 et 2030, malgré la hausse inexorable du cours, avec une augmentation de 61 % entre 2021 et 2022 jusqu’à un pic historique en octobre dernier, à 3786 dollars la tonne. Les répercussions sur le prix est réelle : de +13 % pour les Européens à +20 % pour les Américains, mais les Français continuent de mettre la main au portefeuille pour s’offrir un chocolat à la fois sapide et sourcé et vertueux.

Noir, intense Un choix que confirme
Sébastien Bouillet : "Les gens vont vers un acte d’achat plus facile avec le chocolat". Plusieurs explications à cela : une demande forte, une envie de chocolat ne répond plus à une fête ou à une tradition, une curiosité accrue pour le produit et la diversité proposée par les industriels. Le chocolatier-pâtissier analyse: "L’industrie est aussi un baromètre et une source d’idée pour faire du bon".  La tendance au régressif inspire les confiseurs, pâtissiers ou même boulangers et permet de développer une créativité chocolatière. "Le régressif nous rappelle l’enfance, c’est une réassurance, ce sont des goûts francs". Mais pas seulement, puisque les chocolatiers notent l’exigence des consommateurs. Nicolas Rozier-Chabert, le cofondateur de Plaq : "Notre clientèle française est demandeuse de chocolat noir, intense. Nous avions démarré avec une tablette de chocolat noir à 84 %. Aujourd’hui, on en produit trois ou quatre et elles se vendent aussi bien que du 75 %, et à 75 %, le parti pris est déjà fort, car le marché est plus autour de 70 %". Si la demande est au beau fixe, la réponse peut être complexe pour les chocolatiers dans les années à venir. Sébastien Bouillet : "Les chocolateries se font rares, mais les meilleures restent". Le chocolat reste un produit qui obéit aux saisons et les chocolatiers purs sont difficiles à recruter :  "Le chocolatier est en voie de disparition. Tout le monde n’a pas une formation pure en chocolat, nous, nous avons un poste de chocolatier à l’année grâce au laboratoire". Les chaleurs qui s’étirent à cause du changement climatique impactent également ce désir de chocolat, qui risque d’être moins prononcé. Par ailleurs, les territoires exportateurs comme le Brésil ont connu des drames climatiques extrêmes qui posent question quant au futur de leurs productions. Ces avertissements inquiètent Sébastien Bouillet : "J’ai peur que le chocolat devienne un produit de luxe qui ne s’adresse qu’à un seul panel de clients, je veux offrir une gamme complète et surtout, accessible à tous". Que d’efforts pour du réconfort.

 

Entretien croisé

Il faut écrire des belles histoires créatives qui seront utiles aux artisans dans leur activité

 

Philippe Bertrand, MOF chocolatier- confiseur de 56 ans, dont 34 en tant que chef pâtissier puis directeur technique de la Chocolate Academy au sein de Cacao Barry, et Nicolas Rozier-Chabert, reconverti, la quarantaine venue, dans le bean to bar en cofondant Plaq fin des années 2010, offrent deux parcours et perspectives dans l’univers du chocolat qui reflètent la mutation et la vitalité de ce secteur. Entretien croisé.

COMMENT ÊTES-VOUS TOMBÉS DANS LE CHOCOLAT ?

Nicolas Rozier-Chabert Après une carrière dans le secteur de la communication, qui m’a apporté vers la fin une sorte de déception, de cassure, j’ai voulu partir sur d’autres bases. J’ai toujours parcouru des boutiques, consommé, goûté dans tout Paris, c’était cependant une expertise de consommateur. Et puis je suis tombé sur une tablette outre-Atlantique, plus aromatique, qui a fait la bascule, et nous nous sommes lancés avec Sandra Mielenhausen, ma compagne, qui avait également travaillé dans le secteur du luxe et des spiritueux. Nous nous sommes immergés dans la fabrication du chocolat, c’était très structurant. Chez Plaq, nous avons un modèle économique complexe. Nous avons une vraie ambition : le produit nu, les fèves triées à la main, une torréfaction douce, pas de beurre de cacao, pas de lécithine, pas de vanille, la fève, nue, juste avec du sucre.
Philippe Bertrand Après un CAP de pâtisserie, j’ai travaillé dans différents établissements en région 1 parisienne - j’ai copié le modèle des Compagnons du devoir pour acquérir de l’expérience et maîtriser les diversités autour de la pâtisserie, hôtels, artisans, etc. J’ai donc travaillé au Crillon à Paris, grâce au soutien de Pierre Hermé, mais également en traiteur, chez Flo Prestige (transformé début des années 2000 en boutiques Fauchon). Ces expériences ont été pour moi une révélation et une ouverture sur la pâtisserie, un métier passion. Pour parfaire mon parcours il me fallait une expérience à l’étranger, je suis donc parti pendant 6 mois à Cambridge dans un hôtel de luxe. À mon retour en France en 1990, j’ai intégré la société Cacao Barry en tant que chef pâtissier, et ai évolué sur les 34 dernières années jusqu’à mon poste actuel de directeur technique de la Chocolate Academy™️ Paris. En 1996, alors que je travaillais déjà pour Cacao Barry, je me suis présenté au concours du MOF chocolatier-confiseur et je suis devenu le plus jeune Meilleur Ouvrier de France de cette catégorie. C’est le moment fort de ma carrière. Mon poste de chef pâtissier m’a permis de voyager partout dans le monde pour mettre en avant les techniques du métier à tous les pâtissiers et chocolatiers.

LES ENJEUX CLIMATIQUES ET HUMAINS DANS LES PRINCIPAUX PAYS EXPORTATEURS TENDENT LE MARCHÉ DU CACAO. ENTREPRENDRE DANS LE CHOCOLAT, EST-CE DE PLUS EN PLUS UN DÉFI ?

PB Oui, indéniablement. Le changement comportemental dont nous sommes témoins en Europe existe dans tous les autres pays. Le rapport au travail change, et le métier de planteur, bien qu’ayant évolué vers de meilleures conditions ces dernières années, reste très physique. Le climat incertain et capricieux rend les prévisions de rendement des récoltes très instables, malgré les efforts faits par notre groupe Barry Callebaut et le CIRAD autour de la fertilisation, du développement durable et de l’agroforesterie.
N.R-C. Le cacao côté en Bourse vient du Ghana, de Côte d’Ivoire, il s’agit du cacao de gros et cela concerne les gros couverturiers, 85 % du marché mondial. À Plaq, nous sommes sur le pourcentage des fèves qui sont 4, 5, 6 fois plus chères que le cours mondial, mais vertueuses, issues de l’agroforesterie... Bien sûr que je sens une inflation, un 10 % d’augmentation réelle, mais le plus complexe reste la transformation de cette matière première. Nous sommes comme des vignerons, nos fèves dépendent des saisons, des récoltes. On croit connaître une fève par cœur et un jour, la récolte change et la fève change en goût. On ajuste, on connaît des variations. À Paris, tout est fait sur place rue du Nil, et notre chocolat est transformé, pas loin, rue du Faubourg Poissonnière et cela demande de consommer beaucoup d’énergie. Nous livrons via l’e-commerce et à vélo, et sur ce pan nous faisons de vraies économies, cette proximité est au service du goût et d’une approche de A à Z. Tout ce que nous faisons, c’est poursuivre un sens vertueux. Oui, cela a un coût, tout le pari, c’est d’avoir une clientèle qui nous suit et qui peut voir une différence : consommer moins, mais mieux.

COMMENT FAIRE AVANCER INTELLIGEMMENT LA CRÉATIVITÉ CHOCOLATIÈRE ?

N.R-C. Aujourd’hui, la partie veille, recherche et développement est notre pré carré, nous avons la chance d’avoir la responsable cacao ou le responsable chocolat qui rebondissent sur nos idées, c’est la partie réellement magique du travail dans le chocolat. Le choix de la rue du Nil était lui aussi important, tous les produits que l’on trouve dans cette rue sont issus d’un sourcing pointu. Aujourd’hui, nous bénéficions de ce microcosme : les plus grands chefs viennent se fournir ici.
PB Le tout n’est pas tant de créer un cru unique, mais de savoir à qui, comment, où le vendre. Le produit doit répondre à une demande. Dans notre secteur, les approches diffèrent en fonction du marché. Pour le marché gourmet, l’aspect primordial est la capacité et la facilité à travailler le produit. Nous pouvons faire confiance aux artisans pour mettre en avant l’origine, le cru d’un chocolat, car l’artisan est un expert. Les clients sont très demandeurs de nouveauté, l’artisan a donc besoin d’origines qui ont du caractère, type Tanzanie 75 % de cacao aux notes acidulées, fruitées, qui vont se révéler pleinement en tablette, mais que l’artisan va aussi sublimer dans une pâtisserie de luxe. Barry Callebaut a créé un concept de Chocolat sur mesure, Or Noir® : le client assemble à son goût les fèves de cacao du monde pour créer le chocolat unique qui lui ressemble. Il faut que la créativité reste au service de l’artisan. Il faut écrire des belles histoires créatives, mais qui seront utiles aux artisans dans leur activité professionnelle. La créativité et l’innovation, ce ne sont pas uniquement les produits, c’est aussi ce que nous en faisons (par exemple les créations sur les réseaux sociaux, etc.).

LE CHOCOLAT CONTINUE DE SÉDUIRE LES CONSOMMATEURS, ET LA FRANCE DEMEURE L’UN DES PAYS QUI EN CONSOMME LE PLUS, ENTRE 12 ET 13 KG PAR AN SELON LES STATISTIQUES LES PLUS RÉCENTES. MAIS CONSOMME-T-ON EN MAJORITÉ DU BON CHOCOLAT ?

PB Aucun doute ! Nous avons la chance d’avoir en France une culture gastronomique forte. Le pain au chocolat est un super exemple : c’est un produit purement culturel et populaire, mais le chocolat qu’il contient est bon, même s’il est de composition simple. Il est bon au goût et il a l’appellation chocolat, c’est-à-dire qu’il contient uniquement du cacao, du beurre de cacao et du sucre (au contraire des produits qui contiennent des huiles en remplacement partiel du beurre de cacao). Malgré la réforme européenne qui avait autorisé en 2000 les marchés européens à appeler chocolat de couverture les produits qui ne contenaient pas plus de 5 % de matières grasses végétales, ayant pour effet d’avoir un produit dégradé qualitativement, le marché industriel n’y a pas adhéré.
N.R-C. Je suis mal placé pour répondre concernant tous les Frnçais, car Plaq œuvre sur un micro- marché. Cependant, les Américains pionniers de la craft avec lesquels nous avions échangé au début, nous disaient que nous allions nous amuser au début avec du chocolat pur : du 70%, du 75%. Mais ils nous assuraient aussi que nous vendrions aussi plus de chocolats aromatisés (caramel, praliné etc...). Eh bien cela est faux, notre clientèle française est demandeuse de chocolat noir, intense. On voit qu’il y a une vraie demande, cela bouge doucement, mais cela bouge bien.

Par Hannah Benayoun

Photos  Claire gaby

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