Florent Ladeyn, les partis pris d'un territoire

VOUS AVEZ OUVERT DEUX NOUVELLES ADRESSES EN 2023, UN SECOND BIERBUIK À BÉTHUNE ET KLOK À BRUXELLES. CETTE EXPANSION ÉTAIT NÉCESSAIRE À L'ÉQUILIBRE DE VOTRE ÉCOSYSTÈME ?

Nous sommes des acteurs économiques importants. Mais si nous voulons vraiment avoir un impact à l'échelle de la région, nous devons proposer encore plus de solutions. Alors oui, ces ouvertures sont nécessaires, pour nous et pour notre environnement. Les producteurs ont besoin de notre soutien, que nous consommions les bons produits, d'abord locaux et puis autant que possible cultivés en bio, en permaculture, de façon indépendante. Au Vert-Mont c'est notre engagement depuis le début. Si mon business ne marche pas, je suis dans le pétrin, mais si les agriculteurs avec qui nous travaillons disparaissent, c'est la fin. Je ne vais pas me mettre à changer de fournisseurs pour économiser sur les prix, je ne vais pas renier nos principes. La crise est là, nous en ressentons fortement les effets depuis deux ans, les coûts de l'énergie s'envolent, tout comme ceux des matières premières. Ma réponse est d'avancer, avec ces ouvertures mais aussi avec la création de notre atelier de production à Boeschepe.

CET ATELIER EST UNIQUE DANS SA CONCEPTION. DE QUOI S'AGIT-IL ?

Nous avons repris les entrepôts de l'ancienne usine de sacs de pommes de terre du village pour en faire notre camp de base. Nous y cuisons notre pain, nous y brassons nos bières et nous y centralisons les préparations. Par exemple au lieu de faire 20 litres de jus de viande dans chaque restaurant, nous en faisons 200 litres qui seront en plus meilleurs parce que le fond cuira plus longtemps et gagnera en intensité. Cela permet également de faciliter les livraisons de nos fournisseurs. Au lieu de leur faire perdre un temps précieux à rouler entre les différents lieux, ils apportent tout ici et nous gérons le reste. Toute notre logistique est repensée, avec une capacité de production suffisante pour fournir nos restaurants mais aussi les collègues de la région.

ALAIN DUCASSE EST VENU VOUS RENDRE VISITE IL Y A QUELQUES JOURS. C'EST UN MODÈLE POUR VOUS ?

C'est un exemple à suivre, évidemment. En tant qu'entrepreneur, en tant que chef de cuisine. Nous allons faire partie de son projet au Louvre, n prenant en main le café Malien, à l'entrée de l'aile de la Joconde. Je lui ai présenté l'atelier, notre façon de travailler. Il a apprécié l'ambition et l'approche. Il a compris très vite le sens de tout ça, ainsi que les difficultés que cela soulève. 2023 a été une année particulièrement difficile, à cause du contexte économique mais également en raison du départ de mon associé de longue date. Il a fallu repenser toute notre structure, s'adapter, changer les plans, tout en faisant tourner cinq établissements et en gérant une équipe de 90 personnes. Winston Churchill disait qu'il ne faut pas gâcher une bonne crise, on va se servir de celle-là à 100%. Je ne suis pas du genre à me laisser abattre, la victoire n'en sera que plus belle et je me dis qu'Alain Ducasse a aussi connu des revers, mais qu'il a toujours maintenu son cap. Je fais pareil.

LA RESTAURATION TRAVERSE UNE AUTRE CRISE, HUMAINE. LES HORAIRES, LES CONDITIONS DE TRAVAIL SONT REMISES EN QUESTION PAR LA NOUVELLE GÉNÉRATION. COMMENT Y FAITES-VOUS FACE ?

Il s'agit d'un phénomène global, tout le monde le constate. On ne peut pas aller contre cette évolution. Cela ne sert à rien de se battre contre des aspirations légitimes. Dans nos restaurants, nous mettons en place une semaine quatre jours, pour que les gens se sentent bien dans leur métier, qu'ils viennent travailler avec l'envie et la passion. Nos équipes sont totalement dans cet esprit, elles font un boulot formidable.

ET VOUS, UN JOUR, VOUS VOUS VOYEZ FREINER ET PRENDRE DU RECUL ?

Pour l'instant, non. Nous en sommes aux balbutiements, nous apprenons à marcher. C'est en tout cas la façon dont je ressens les choses. Il y a de gros investissements à amortir, des prêts à rembourser, et sans aucun business angel derrière pour éponger les bêtises. Je me mets parfois à rêver d'une cabane dans le Jura ou en Norvège, avec la canne à pêche, mais avant, il faut encore tenir le cap et continuer à construire.

TOUJOURS EN FLANDRE, PRÈS DE VOS RACINES ? C'EST UN FIL CONDUCTEUR DE TOUS VOS RESTAURANTS ?

Un fil conducteur, je ne sais pas. Je ne vais pas mettre des drapeaux partout, ce serait indécent. Mais je suis fier d'être flamand, je l'affirme haut et fort. Pas dans le sens d'une revendication radicale politique, je n'ai rien d'un indépendantiste. Je suis ancré dans mon territoire, j'y suis heureux, je m'y épanouis, j'aime le faire découvrir et savoir qu'à Marseille on sait maintenant où est la Flandre culinaire. Mais je refuse que mon combat local soit associé à des mouvements identitaires. Mes racines me permettent d'avoir une assise, un équilibre, pour voir plus loin, pour regarder ailleurs. Sans peur, ni de l'autre, ni de l'avenir. Je veux continuer à avancer et à montrer que nous pouvons apprendre à mieux vivre ensemble. 

Réalisé par Peyo Lissarague

Le Vert Mont puissance 5

L'Auberge du Vert Mont
1318 Rue du Mont Noir
59299 Boeschepe
vermont.fr

40 ans de bons et loyaux services, sur les hauteurs des Flandres françaises. Florent Laden a repris l'auberge de ses parents et lui a fait passer le cap du locavorisme intelligent. Généreuse et talentueuse, sa cuisine y dessine un autre monde, meilleur, tellement meilleur.

Bloempot
22 Rue des Bouchers
59800 Lille
bloempot.fr

En plein coeur de Lille, 10 ans déjà que le joli pot de fleurs (traduction littérale du néerlandais) piloté en cuisine par la formidable cheffe Florence ne désemplit pas. Une leçon de convivialité et de maîtrise.

Bierbuik Lille
19 Rue Royale
59000 Lille
bierbuik.fr

Et si on ouvrait un Estaminet Brewpub dans le centre-ville ? Funky street-food flamande et mousses sans reproches, le tout à des prix accessibles à tous. L'essai ne pouvait qu'être transformé.

Bierbuik Béthune
10 Grand Place
62400 Béthune 
03 21 68 09 88
bierbuik.fr

En attendant Dunkerque, c'est dans l'ombre du beau beffroi de Béthune que Bierbuik a fait sa première bouture. Une incursion dans le Pas-de-Calais avec la même formule punchy, entre frites aux maroilles et bières maison.

Klok
Pl. Rouppe 10
1000 Bruxelles
+32 2 899 90 22
klokbrussel.be

Le dernier né de l'univers Ladeynien s'affranchit des frontières. Entre la Gare du Midi et la Grand Place de Bruxelles, Klok secoue la capitale européenne, avec aux fourneaux l'excellent Jordan Joubert.

La Revue T, partenariat entre Omnivore et Transgourmet, explore et présente le monde des producteurs et des cuisiniers, à travers des débats, portraits et reportages qui la rendent unique en son genre.