Gage de tradition et d'artisanat, la boulangerie n'est plus qu'un local commercial fariné, elle est devenue un "lieu de vie", à "moments", ce qui nécessite des aménagements techniques spécifiques et c'est ainsi que le design devint un paramètre pour tout entrepreneur boulanger-pâtissier des temps modernes.
Utiliser un point fort d'une révolution, le design post-industriel, pour aider à en faire une autre, celle de la boulangerie-pâtisserie témoigne d'un pragmatisme, d'une évidence folle. L'Alliance française des designers le définit comme "processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste qui apporte des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux".
Ainsi les domaines d'application du design sont vastes : l'espace (aménagement de l'espace, architecture d'intérieur), le graphisme (communication visuelle) et le design produit (objets, aliments). Client idéal, tendance : le boulanger-pâtissier.
Entre deux fournées, celui-ci choisit désormais d'être accompagné par un professionnel qui connaît les arcanes du projet global de concept du magasin et ses contraintes physiques et techniques : placer les gammes de produits, concevoir l'atelier de production et penser l'équipement, le point de vente... dans une dynamique d'identité, de marque, de positionnement et de stratégie, d'après une charte définie. Certains rationalisent au maximum en n'optant pas pour la solution à 360° mais pour une ou quelques compétences : espace, pour l'accroche de l'esthétisme du lieu, ou produit. Le designer associe ensuite d'autres acteurs : photographe culinaire pour illustrer un livre, un site ou des books de produits, un graphiste pour établir et deviner l'image de l'entreprise, des communicants pour la promouvoir, un maître d'œuvre, un architecte...
Cas d'école : Benoît Castel et Mamiche
D'une mythique boutique, Ganachaud, des années 50, Benoît Castel, plutôt du genre à superviser les architectes et à chiner patiemment son mobilier, a fait un lieu chaleureux et convivial dans les hauteurs de Ménilmontant, où l'on grime allègrement pour déguster ses pains, gâteaux, confitures, brunch, à toute heure, dans le XXe arrondissement parisien. Il a mis à nu la brique retrouvée sous le décor ancien, fait entrer la lumière pour finalement conférer l'atmosphère d'un loft new yorkais, plutôt industriel et années 50. Sur de grandes tables en bois de ferme ou d'autres en formica, on pose des verresDuralex et assiettes en métal de couleur, garnies de pâtisseries maison, de sandwichs devant des panières odorantes et débordantes de pains divers panifiés, façonnés et cuits dans le labo au sous-sol. Au fond du décor, le four, majestueux, plante le clou final de la proposition de Benoît Castel : du goût et de l'authentique.
Cécile Khayat et Victoria Enfantin, jeunes et dynamiques boulangères parisiennes, ont fait appel à Uchronia, innovant et avant-gardiste collectif pluridisciplinaire d'architecture et de design fondé en 2019 par Julien Sebban, jeune designer et architecte disruptif, pour leur troisième établissement boulanger, Mamiche Traiteur. "Il était important pour nous de comprendre comment elles travaillaient, quelles étaient leurs attentes avant de leur proposer un projet, des esquisses. Elles nous ont fait gagner du temps en nous disant ce dont elles ne voulaient pas. La plus grosse contrainte, finalement, était leur peur du projet architectural", nous confie-t-il. Six mois plus tard, un Mamiche Traiteur tout pimpant dont le comptoir épouse le contour du coin de la rue Bouchardon et du passage du Marché, bien pop dans les couleurs et les décors muraux et pourtant d'un traditionnel réconfort dans les vitrines, se fondant harmonieusement dans le quartier, d'où l'on choisit de quoi se restaurer à tout moment de la journée. Les pains sont fabriqués sur place, deviennent des bouchées, des sandwichs, des tartines au petit déjeuner et des "craquages" charcutiers tel le feuilleté, le roll, la pizza, la gougère, la quiche et la tarte du moment. Des salades complètent l'offre traiteur salée. Julien Sebban a travaillé avec un cuisiniste et une entreprise générale pour les travaux techniques et le gros œuvre et d'autres artisans pour les décors muraux, aux différentes étapes d'aménagement et d'agencement.
Ce lieu est à l'image de leurs maîtresses : solaire.
Haut de gamme
D'autres encore, poussent le curseur encore plus loin. "The Picasso of pastry", Pierre Hermé, est sans doute le pâtissier français qui entretient le rapport le plus prononcé au design, jusqu'à l'associer à ses créations sucrées. "Il n'y a jamais de mécanique préétablie pour démarrer un nouveau projet. Ce peut être le fruit d'une rencontre lors d'un dîner, par exemple, ou alors vraiment l'envie d'échanger avec un créateur dont je connais le travail, et dont, bien souvent, je possède l'un des objets ou l'une des œuvres", lit-on dans ses interviews.
Desserts, confiseries, chocolats, objets, lieux, packagings... Tout est pensé design chez Pierre Hermé. Avec Matali Crasset, il crée des ustensiles de cuisine pour Alessi ; avec Patrick Jouin, des couverts à dessert réalisés par Puiforcat ; avec l'artiste Bernar Venet, une galette des rois et sa fève ; avec Yan Pennor's, le premier point de vente de macarons à Paris, entre autres ; avec les architectes d'intérieur Olivier Lempereur, Laura Gonzalez et Masamichi Katayama, des boutiques ; ou encore avec le graphiste japonais Kenya Hara, une boîte conçue pour l'iconique Ispahan.
Boulangers, pâtissiers et architectes, tous en connexion avec les arts appliqués pour repousser les frontières de leurs métiers et s'adapter à l'air du temps afin de mieux le marquer. Car comme le résume bien Julien Sebban, d'Uchronia, "on fait les choses pour qu'elles durent", et avec ce qui dure, ajouterions-nous. Ainsi, on retient aussi la magie des endroits chaleureux, conviviaux, luxueux, authentiques, dont on se souviendra - les pâtisseries de Sébastien Gaudard ou Stohrer, entre autres - autant que les produits délicats qu'on y est allé chercher.
Par Audrey Vacher
Photo Ava du Parc