Co-branding : une faim de partage pour tous les appétits
Par Rémi Héluin
1+1… égal 3 ! Calcul gagnant que parviennent à réaliser de nombreuses marques de l’agro-alimentaire en s’associant pour des opérations dites de « co-branding ». Si ces alliances commerciales ne sont pas nouvelles, la pratique se développe et ouvre aux entreprises l’opportunité de se déployer en dehors de leurs rayons traditionnels. Bien loin d’être une simple opération marketing, ce format nécessite l’implication totale des deux partenaires autant que de leurs équipes pour devenir un succès partagé.
Contrairement aux idées reçues, le co-branding n’est pas seulement une opération marketing. Pour les entreprises souhaitant s’engager dans de tels projets, il est crucial d’identifier des partenaires potentiels partageant des univers et des valeurs proches, tout en se complétant sur le plan du savoir-faire. "Tout a commencé sur des salons : nous avons rencontré les équipes de Mondelēz International et de Bel pour des échanges informels, permettant d’identifier les opportunités potentielles de collaboration", se souvient Jessica Martin, responsable marketing Offre et Innovation chez Bridor. Parmi le portefeuille de ces acteurs clé du secteur agroalimentaire, les marques Milka et La vache qui rit se sont imposées comme des choix naturels de par leur caractère familial et leur forte notoriété [elle atteint même 100 % pour Milka, tandis que La vache qui rit est la 7e marque de fromage la plus vendue dans le monde, NDLR]. "Ces deux marques très appréciées en France sont également très connues en Europe, laissant entrevoir un fort potentiel à l’export."
Image de marques
Plusieurs partenariats déjà noués entre des marques de confiserie et des acteurs du marché des donuts ou des muffins n’avaient pas échappé à Bridor, filiale du groupe Le Duff. "De par les différentes étapes aboutissant à la vente d’un produit de viennoiserie (surgélation, pousse, cuisson, etc.), les contraintes sont particulièrement fortes en Recherche & développement (R&D) pour être à la hauteur de la promesse de goût portée par les marques", poursuit Jessica Martin. Il aura fallu de nombreux essais pour aboutir en 2022 à la sortie d’un roulé Bridor aux pépites de chocolat Milka, ainsi que d’un feuilleté au fromage La vache qui rit. "Cela n’a pas été un développement produit comme les autres, et le défi s’est avéré particulièrement agréable à relever pour nos équipes, qui sont fières de porter ces produits très gourmands." Cette complexité initiale aura finalement ouvert la porte à un succès commercial, avec notamment le soutien actif des distributeurs, séduits par l’opportunité de mieux valoriser leur offre : "Nous avons l’habitude de commercialiser des viennoiseries au chocolat : cette fois, nous avons été plus vite et plus fort, en apportant une présence de la marque dans des rayons où elle est habituellement absente." L’apport des marques se révèle particulièrement déterminant à une époque où la valorisation de l’offre est un sujet majeur : chaque élément permettant de justifier des prix supérieurs devient stratégique.
Nouveaux rayons
Du côté de Milka comme de nombreux autres industriels de l’alimentation, le co-branding est une occasion toute trouvée de réaliser la transition d’une "marque produit" à une "marque ingrédient", comme le souligne Stéphane Brunerie, Consultant en marketing alimentaire. "Aller sur le terrain de la restauration hors foyer répond à une demande et permet une plus forte valorisation." Cette dynamique s’observe notamment dans le rayon des pâtes à tartiner, dont les leaders doivent désormais évoluer dans un marché très concurrentiel. "Sortir de cet environnement étriqué permet de démultiplier les points de contact, explique Stéphane Brunerie. Tout en apportant une caution qualité à de nouveaux produits. Cela nécessite cependant une vraie culture de l’excellence dans le marketing et l’exécution." Le groupe italien Ferrero s’est ainsi imposé comme un véritable spécialiste de l’exercice : le Nutella s’invite désormais dans tout type de pâtisserie ou préparation sucrée, aussi bien en grande distribution qu’en restauration. "Ces marques ont vraiment apporté un renouveau de l’offre en fourrages", note le consultant.
Partage de valeurs
Le partage d’un savoir-faire industriel n’est pas la seule raison pouvant amener deux marques à collaborer : la volonté de défendre des valeurs ou un patrimoine commun est également le point de départ de plusieurs opérations, à l’image de la tablette de chocolat associant Poulain et Saint-Michel, deux marques patrimoniales françaises. "C’est une opportunité de se co-enrichir", note Stéphane Brunerie. Avec la montée en puissance des sujets liés à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), cette proximité s’est imposée à tous. "Le mariage doit porter du sens et se faire entre des marques proches, avec des visions alignées sur des recettes clean label", ajoute Jessica Martin. C’est sur la base de cette proximité de valeurs que l’enseigne Sushi Shop a multiplié les opérations (fréquemment appelées Limited Time Offer [LTO] dans le secteur du Food Service) avec des chefs dont le nom est devenu une véritable marque : Joël Robuchon, Jean-François Piège, Thierry Marx, Grégory Marchand, Mauro Colagreco, Cyril Lignac ou plus récemment Albert Adrià… Autant de figures emblématiques de la gastronomie française qui ont imaginé des box aux recettes originales, tout en réaffirmant le caractère qualitatif du positionnement de l’enseigne. Au-delà du voyage gustatif, le leader européen du sushi a exploré la dimension artistique de ses contenants en faisant intervenir des créateurs tels que Kenzo, Lenny Kravitz, Kate Moss ou Crain & Kar pour signer des visuels toujours plus marquants.
La complémentarité, facteur clé
Si associer art et alimentaire peut paraître osé, le regard des designers peut cependant constituer un apport déterminant dans le caractère attrayant du produit. Cela justifie la collaboration… ce qui n’est pas le cas pour d’autres opérations, dont les univers irréconciliables ont provoqué des échecs marquants. "Il est fréquent d’observer que des groupes agroalimentaires souhaitent croiser leurs marques, alors qu’elles ne partagent pas le même univers et ne parviennent pas à trouver leur public lorsqu’elles sont associées", observe Stéphane Brunerie. Certains exemples se révèlent particulièrement étonnants. Dans les années 1960, la marque Colgate était en quête d’expansion, faisant face à la concurrence marquée du groupe Procter & Gamble. Son président d’alors, George Henry Lesch, fait le choix de porter cette dynamique en créant une gamme de plats cuisinés, baptisée Colgate Kitchen. Poulet, chair de crabe ou même chips de pomme, la gamme ainsi testée a rapidement rejoint les archives du marketing : il était tout simplement inconcevable pour les consommateurs d’associer la thématique de l’hygiène bucco-dentaire, portée par Colgate, avec des plats cuisinés. Une expérience qui rappelle l’impérieuse nécessité de choisir soigneusement les terrains où implanter sa marque… au risque de partager les échecs.