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Prospective : la restauration en pleine (r)évolution

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Par Christophe Jeanjoseph

C’était comment le restaurant il y a 35 ans ? Et ça deviendra quoi dans la décennie à venir ? Avec l’aide de Bernard Boutboul qui fondait en 1989 Gira Conseil, une société spécialisée dans le marketing et la stratégie de développement dans la restauration, voici un retour éclairé et l’analyse d’un écosystème de restauration en permanente recomposition.

Il suffit de s’arrêter sur quelques chiffres pour constater la métamorphose. En 1993, le top 10 des enseignes de restauration comptait quatre cafétérias et deux enseignes de service à table. En 2003, 60 % du top 10 étaient des enseignes de vente au comptoir, vingt ans plus tard la proportion est de 90 %. Le haut du podium étant trusté par les enseignes de sandwiches/salades et de burgers. Il faut toutefois noter que la vente au comptoir est largement portée par les unités de restauration hors restauration commerciale : restauration collective, automatique et circuits alimentaires alternatifs. En trente ans, le nombre d’enseignes de chaînes a augmenté de 310 %. Ce qui démontre l’attractivité d’un secteur qui ne cesse de se réinventer. "Une évolution permanente rendue obligatoire par une durée de vie des concepts de plus en courte", souligne Bernard Boutboul. S’il y a vingt ans, des chaînes comme Buffalo Grill ou Courtepaille traversaient les décennies sans adaptation, ce temps est révolu. Quand un concept vivait sept ans, sa durée de vie est aujourd’hui réduite à deux ans. Le marché, quant à lui, se dirige depuis plusieurs années vers une saturation globale. L’offre de restauration est sans doute en passe de devenir plus importante que la demande.

Un véritable bouleversement
Il y a vingt-cinq ans, l’offre de restauration se divisait entre la traditionnelle auberge, la brasserie, le restaurant et le bistrot, et de l’autre côté les fast-foods, McDonald’s et Quick en tête, sans omettre également les kebabs. Le burger a pour sa part connu une croissance exponentielle et des volumes multipliés par 14 ces dix dernières années. Aucun produit n’a connu une telle progression. À tel point que le marché est en phase de maturité. Le consommateur fait donc la fine bouche et trie le bon grain de l’ivraie. La pizza se positionne quant à elle en deuxième position, avec en co-recordmen du monde d’absorption par habitant, les Français et les Américains. En comparaison, les Italiens ne sont qu’en cinquième position. Le sandwich caracole toujours en tête, confirmant ainsi le succès des produits à base de pain. L’offre s’est pourtant considérablement développée avec la création de 51 produits de restauration rapide pour la seule année 2024. La France est ainsi la seule à posséder autant de mono-produits en restauration rapide.

Le tournant des années 2000
Un homme en 2001 va bouleverser le secteur : c’est Alain Cojean, fondateur de la chaîne de restauration éponyme. Vu comme un ovni à l’époque, il va installer la restauration rapide haut de gamme dans le paysage, ouvrant ainsi la voie à des acteurs comme Exki ou Prêt à Manger, mais aussi plus tard à des chefs étoilés comme Olivier Belin, deux étoiles à Plomodiern et cofondateur de Père & Fish, et d’autres moins chanceux, à l’image de Michel Sarran et de ses Croq’Michel ou de la cheffe Anne-Sophie Pic qui ont tous deux mesuré la difficile rentabilité dans le secteur de la restauration rapide haut de gamme où le seuil de prix acceptable est vite atteint. Mais si certains souffrent, d’autres en revanche se portent très bien, McDonald’s, Burger King, et même Quick sont de ceux-là. Le troisième ayant fait le choix payant de transformer l’offre de ses restaurants en halal. Pour expliquer l’évolution, il faut souligner le déclin du nombre de cafés, bars et brasseries, passés de 200 000 dans les années 1960 à 25 000 aujourd’hui. La naissance des Brioche Dorée, Paul, Croissanterie, McDonald’s et Starbucks ont fait bouger les lignes. Le consommateur a changé ses habitudes, ses moments et ses lieux de consommation. Et le parallèle peut être fait avec le secteur de la boulangerie dont les parts de marché sont grignotées par des chaînes comme Marie Blachère, Ange ou Louise.

Le grand bouleversement
Si les bars, cafés et brasseries s’éteignent peu à peu, les bouillons font un retour en force, portés par un retour aux valeurs et aux traditions. Et le phénomène n’est plus uniquement parisien. Car si Paris regorge de ces lieux populaires pouvant accueillir chaque jour entre 950 et 1800 personnes, ces bouillons nouvelle génération éclosent aussi en région. Pourquoi ? Parce que l’inflation a considérablement impacté l’attitude des consommateurs, qui soit consomment moins, soit fréquentent des lieux à prix bas. Mieux, toutes les catégories s’y retrouvent, assurées d’y manger un repas d’un excellent rapport qualité-prix. Un phénomène à suivre de près. Tout comme la génération Z, qui risque de faire grandement bouger les lignes. Parce que ce sont les consommateurs de demain, ce sont eux qu’il faut observer, en ayant en tête "l’effet de sablier". D’un côté la haute gastronomie, très chère, expérientielle, qualitative et élitiste que l’on s’offrira de manière exceptionnelle, et de l’autre une restauration de nécessité quotidienne au prix le plus bas possible, sans toutefois trop toucher à la qualité et à la quantité. Ces deux blocs montent et entre les deux, ça s’enfonce. Brasseries, bistrots et restaurants traditionnels sont voués à disparaître. Seuls subsisteront les lieux singuliers. C’est désormais ce que le consommateur va rechercher. Nous sommes passés d’une ère de généralistes et des cartes longues à une ère de spécialistes.

La restauration sera expérientielle ou ne sera pas
Le consommateur ne reviendra pas dans un restaurant qui ne lui fait pas vivre une expérience tridimensionnelle. L’effet « waouh » doit être partout. Au niveau du lieu, du décor et de l’ambiance mais également dans l’assiette. La qualité est déjà un prérequis, il est désormais impératif de soigner le contenant, le dressage et même le geste accompli en salle… Il faut penser Instagram. Troisième point, le service. Le personnel doit avoir le sourire, mais également un sens inné du contact, savoir apporter le bon conseil et surtout donner l’impression au client qu’il est privilégié. Car s’il n’y trouve pas un réel intérêt, il ne sortira pas et préférera se faire livrer. La livraison et les dark kitchens vont donc exploser, assure le fondateur de Gira Conseil. Attention cependant, il ne s’agira plus de livraison de spécialité. La nouvelle génération attend de se faire livrer une large gamme de produits, quand et où elle l’a décidé. C’est donc un nouveau challenge à relever pour les acteurs tel Amazon, qui teste Amazon Fresh à Paris. Ce logisticien hors pair se positionne ainsi en bonne place pour devenir le leader du food delivery, mais pas seulement. Les murs Amazon déjà installés dans les gares sont également un modèle qui pourrait s’étendre. Il sera ainsi possible de commander ses achats du quotidien, son repas du soir et de les récupérer à un point donné. Pour rester dans la course, il s’agira non seulement d’avoir un coup d’avance, mais aussi d’afficher sa différence.