Heidi Bjerkan, à la tête de Credo, table norvégienne majeure, sera la présidente d'honneur du Bocuse d'Or Europe à Trondheim les 19 et 20 mars 2024.
La cuisine de Heidi Bjerkan, cheffe étoilée de Credo, la table incontournable du Trøndelag, dentelée de fjords, fait le pont entre producteurs, poissonniers, pêcheurs et fermiers alentours. Animée par le partage des savoirs et des connaissances, elle concentre dans les assiettes de Credo, les goûts et les produits d'une région à l'écosystème fragile, façonné par les longues nuits d'hiver et les lumières uniques du Nord.
Votre éducation est la racine de votre identité de cheffe. Dès le plus jeune âge, vous avez beaucoup appris sur les produits bruts de Norvège, en particulier le poisson, et toute la fragilité d'un écosystème. Qu’est-ce qui vous a amenée spécifiquement à la cuisine ?
La cuisine a tout à voir avec la curiosité, l’envie d’apprendre. Quand j’étais une jeune cheffe, je ne voyais pas tout ce que je découvre aujourd’hui. Je pense que c’est toujours intéressant de s’aventurer dans de nouvelles choses et, toujours, d'apprendre. Ce n’est pas toujours lié à la nourriture, mais surtout à l’envie de s’acculturer, découvrir un héritage. C’est toujours intéressant de se rendre compte que l’on peut avoir un impact en tant que cheffe. On discute avec beaucoup de clients, de personnes, de différentes extractions sociales. La cuisine est une immense communauté, nous avons tous les mêmes besoins, tout le monde a besoin de se nourrir, elle connectera toujours les gens entre eux. Je voyageais beaucoup plus jeune, je n’avais pas la maîtrise de toutes les langues, mais on se comprend à travers la cuisine. L’artisanat est très important, et répéter les mêmes gestes est nécessaire pour être bon artisan. Sans jamais oublier le goût, qui est majeur.
Quelles sont les particularités du paysage culinaire de Trondheim ?
Nous avons tout autour de nous : les montagnes, la mer, les fjords, des sols très fertiles. C’est une chance de cuisiner au milieu de ces décors. Les fruits de mer sont exceptionnels, la viande délicieuse, et tout est lié à l’impact des saisons. Par exemple, les produits de la mer sont d’une grande qualité pendant l’hiver. Quand on connaît ses producteurs, on se laisse également surprendre et on continue d’apprendre sur différents produits. Nos légumes poussent très lentement, ce qui leur apporte une saveur unique, grâce à une lumière du jour exceptionnelle, des températures qui permettent une bonne maturation des produits. Cette lumière si particulière qui sublime les goûts, c’est presque le secret…
Comment décrire une expérience à Credo, votre restaurant ?
Nous savons tout des produits que nous servons, et surtout, nous connaissons les gens derrière ces produits. Credo est un endroit où l’on peut avoir un aperçu de notre région. Je dirai que c’est un restaurant honnête, qui a les pieds sur terre, mais qui aime servir des produits d’une très haute qualité. Il faut au moins 3 h 30 pour découvrir toute l’expérience de Credo. C’est un repas long, mais c’est comme s’installer dans un théâtre, ce doit être quelque chose d’inspirant. Il faut prendre le temps de réfléchir à ce que l’on mange. Le meilleur retour que je pourrais avoir, serait que les convives soient inspirés par la suite. Qu’ils cuisinent mieux chez eux, qu’ils puissent comprendre nos sols, se mettent à composter, changer les choses.
Vous êtes attachée à la notion de durabilité en toute chose. Vous avez par ailleurs créé un centre dédié à l’amélioration du système alimentaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre vision ?
Je suis cheffe depuis une trentaine d’années maintenant, et les choses bougent peu à peu, nous mangeons différemment. Mais la majorité des gens continuent de ne pas vraiment réfléchir à ce qu’ils mangent. Il existe toujours autant de nourriture transformée, mauvaise pour l’organisme. Nous avons créé le Credo Competence Center pendant la pandémie. À cette époque, nous avions besoin d’espoir. Dans ce centre, nous voulons que les enfants apprennent à aimer la vraie nourriture et, surtout, la faire. Nous avons des enfants qui ont appris à cuisiner des fishcakes, monter une mayonnaise, fabriquer du pain… Ils sont âgés de 7 à 14 ans, émerveillés, et ils pourront le refaire chez eux. Actuellement, nous accueillons des enfants qui apprennent le norvégien. Le centre leur permet de créer du lien à travers la cuisine et la nourriture, tout cela permet une équité.
La transmission est une des valeurs du Bocuse d'Or, comment allez-vous anticiper votre rôle de présidente d'honneur ?
Je n’y ai pas encore pensé avec précision. C’est un tel honneur que j’ai encore du mal à réaliser ! C’est un concours prestigieux, où les chefs s’inspirent les uns les autres. Cela me semble important de réfléchir à l'impact qu'ils peuvent avoir. La transmission, la connaissance, sont des clés du futur, nous prenons le savoir d’autrefois pour améliorer ce futur. Et je pense qu’il ne faut jamais oublier que la cuisine est amusante, c’est important.
Propos recueillis par Hannah Benayoun
© Geir Morgen