Sirha Dynamics : la fin du restaurant, ou le début d’une nouvelle ère ?
Par Jean-Pierre Montanay
Le restaurant est-il en train de disparaître ? Une mutation des comportements de consommation s’observe en France, induite, entre autres, par une forte pression sur le pouvoir d’achat. Ces contraintes budgétaires renforcent paradoxalement la vision du restaurant comme lieu de destination, propice au moment d’exception, d’expérience, le tout à partager à plusieurs dans un ultime moment de convivialité.
En réaction à ce paradoxe qui oppose efficacité (en temps, en budget) et expérience, naît une nouvelle offre de restauration qui doit conjuguer prix, rapidité et santé.
Le restaurant dans le sens contemporain du terme est en train de laisser place à de nouvelles catégories, créant ainsi deux blocs dans le Food Service :
→ la restauration à dominante « plaisir », constituée de lieux de destination où se faire plaisir et profiter en prenant son temps ;
→ le restaurant à dominante « fonctionnelle », grâce à des lieux permettant de manger sainement et rapidement avec de nouveaux circuits de distribution hybride : d’après l’étude Opinion Way pour Sirha Food, 37 % des Français indiquent acheter des plats à emporter au moins une fois par mois, notamment les plus jeunes (66 % des moins de 35 ans). Les 25 % qui préfèrent cuisiner chez eux le font pour des raisons économiques ou de santé.
Le Food Service est également influencé par de fortes nuances générationnelles. Les usages du digital ont significativement changé le comportement, notamment des plus jeunes. La relation au restaurant est plus contractuelle chez cette génération qui n’aime pas les surprises et est influencée par une recherche de satisfaction immédiate. Les plus jeunes adoptent une vision mondialisée qui transcende toutes les frontières culturelles en matière d’alimentation. Ils exigent aujourd’hui un respect de toutes les particularités alimentaires, tout en continuant de compter sur des marques qui leur apportent sécurité et rêve.
Le Food Service contemporain doit ainsi répondre à cinq enjeux.
1. Satisfaire les attentes de tous les segments de clientèle, à tous les prix.
2. Proposer des solutions adaptées à tous les moments de consommation et formats de restauration.
3. Créer des signatures gustatives uniques reflétant le positionnement de l’enseigne ou de l’établissement.
4. Intégrer harmonieusement l’activité de restauration dans l’écosystème humain, en prenant en compte les enjeux environnementaux et sanitaires.
5. Optimiser la gestion et la répartition des ressources humaines et technologiques disponibles, dans un souci d’efficacité et de productivité accrues.
Face à ce constat, la société Loeb Innovation met en lumière à l’occasion de Sirha Lyon 2025 les cinq tensions constructives – appelées Sirha Dynamics – qui répondent à ces enjeux et vont dessiner le paysage du Food Service des prochaines années.
Inclusivité vs Exclusivité
Pour répondre aux attentes de tous les âges et tous les budgets, les restaurateurs et entrepreneurs du Food Service ont plutôt intérêt à adapter leurs offres et réinventer le low cost, au-delà de la restauration collective. Le but ? Inclure toute la classe moyenne.
Mais, pour inclure tout le monde, le Food Service doit aussi rester exceptionnel, ces mêmes restaurateurs ne doivent pas occulter la création d’expérience rares et de lieux uniques. Vous avez dit paradoxe ?
Dopamine now vs Dopamine slow
La société post-Covid est marquée par un rythme de vie accéléré, avec une fragmentation du temps consacré au travail, aux loisirs et au sommeil. La stimulation de la dopamine permanente par le digital habitue la jeune génération à une réponse immédiate de ses désirs.
Pour combler la volonté de plaisir et de satisfaction instantanés, place aux aliments énergisants ou relaxants tels que les boissons au maté qui voient leur popularité croître, enrichies en caféine, ou encore les eaux au CBD.
Des lieux de restauration polymorphes voient le jour tels que boutiques avec café snack, coffee shops, lieux de snacking en boulangerie, Food Service en supermarché, ou restaurants à livraison rapide.
À l’inverse, dans une société où tout va vite, comment répondre à l’envie de prendre le temps de partager ? En imaginant de nouveaux rituels de partage, en réinventant les repas d’affaires ou en accompagnant l’essor de la restauration festive qui essaime en dehors des grandes villes, par exemple. Danser et chanter après le dîner, le café-concert réinventé, en quelque sorte.
Modernité locale vs Modernité globale
Local et global ne s’opposent pas systématiquement. Ils peuvent – doivent – cohabiter dans le paysage de la restauration.
Les auberges et fermes (re)voient le jour, comme de vraies destinations. Le « restaurant » n’est pas (n’est plus !) réservé qu’aux grands centres urbains. Une signature gustative va de pair avec une signature de terroir.
En même temps, cette jeune génération plus mondialisée a besoin de goûts standardisés pour se retrouver. Quelles seront les nouvelles textures et saveurs de demain ? Uniformisation et réinvention des goûts générationnels et normalisation de la cuisine jonction qui fait des ponts entre les cultures, viennent répondre à cette question.
Ego-frugalité vs Eco-frugalité
Lorsque le consommateur fait un choix pour se nourrir, deux tensions apparaissent : prendre soin de soi, ou prendre soin de la planète. Comment concilier plaisir gustatif, bien-être et équilibre nutritionnel ? Le boom des produits analogues au GLP-1, cette hormone de satiété qui fait fureur aux États-Unis, conduira à la recherche d’aliments moins gras/moins sucrés et d’aliments fonctionnels.
Pour minimiser l’impact environnemental de la restauration, se pose la question de l’ultra-localité et de la réinvention du farm-to-table. Le développement des filières françaises d’ingrédients exotiques (amandes, cacahuètes, avocats, mangues, bananes, maïs) ou la reconstruction des filières locales ancestrales – le sorgho en Afrique, le re- déploiement des fermes-auberges dans le Jura et dans les Vosges par exemple – sont de premiers éléments de réponse. Les nouvelles technologies accompagnent également l’allègement de l’impact environnemental du Food Service : recyclage, optimisation du cycle de l’eau, réduction de la consommation de produits carnés : viande de synthèse, substituts de viande, proposition d’alternatives à base d’insectes…
Intelligence augmentée vs Restaurant augmenté
Dans un contexte de manque de main-d’œuvre, de préservation et de transmission des savoir-faire, d’amélioration des conditions de travail en cuisine, l’intelligence artificielle fait, comme partout, une incursion dans le Food Service.
Les fast-foods – pionniers du genre – cherchent à tirer parti des nouvelles technologies pour améliorer l’offre, les processus et l’expérience : robotisation des tâches, dynamic pricing à l’instar de Wendy’s qui expérimente l’IA pour faire évoluer les prix en fonction de la fréquentation, restaurant 100 % autonome, comme le restaurant de burgers CaliExpress piloté par l’IA. Mais l’intelligence artificielle a ses limites. Alors que McDonald’s arrête la prise de commande peu concluante au drive par chatbot, Carl’s Junior stoppe son usage de l’IA après la révélation que 70 % du travail était finalement effectué par des « petites mains » installées aux Philippines…
Les nouvelles technologies s’entendent lorsqu’elles sont au service du lien hu- main, comme l’aide à la créativité des chefs, l’optimisation des processus de gestion opérationnelle, la formation aux savoir-faire et la transmission aux gestes. Il s’agit plus généralement d’imaginer des systèmes et des offres ambitieuses, répondant à tous les désirs, de la Gen Z aux plus de 50 ans, qui respectent les différences et les valeurs inclusives, prennent en compte les handicaps (moteurs, visuels, auditifs…) et favorisent toujours plus le partage… et le bonheur connexe !