Le goût de la Sicile, 4e région mise en lumière par ICE, l’agence du commerce extérieur italien à Paris, et Sirha Omnivore ? Dites plutôt les goûts…
Au fond de la salle du restaurant, où elle est à la fois cuisinière et serveuse, Gaetana Celestino reste assise plus longtemps que d’habitude. Il faut bien se plier au jeu de la photo. Mais dès la séance achevée, elle repart derrière sa glacière et sert d’autorité une tournée de granita di mandorle.
Dans sa main usée par quarante-cinq années de fourneau et de comptoir, le sorbet fondant aux amandes raconte tout un pan de la Sicile : l’influence de la domination arabe, la richesse des terroirs, la diversité des climats, l’art du temps qui passe… La Timpa, le nom de la micro trattoria de Gaetana, est aussi celui de la montagne qui plonge droit dans la mer et réduit le village à une bande de terre escarpée. Ici à Santa Maria la Scala, sur la route qui mène de Catane à l’Etna, comme dans toute l’île-monde, aucune modernité ne peut se concevoir sans tradition, aucune création ne peut s’affranchir de son double ancrage maritime et terrestre.
Il ne manque rien…
Grande comme la Belgique, la Sicile s’est construite au fil des colonisations méditerranéennes, digérant lentement leurs influences, intégrant les saveurs et les coutumes, sans jamais démordre de son identité insulaire. Les tremblements de terre et les éruptions de l’Etna ont dessiné sa topographie, en créant des dénivelés et des ruptures, en gagnant du terrain sur la mer, en remodelant les villes. « Il y a tout en Sicile. Toute l’année, nous pouvons travailler des produits locaux sans avoir besoin d’aller voir ailleurs. Avec le réchauffement climatique, je trouve même des bananes, des avocats… et du café. » Le chef italo-brésilien Mauricio Zillo, familier de et cher à l’écosystème Omnivore, à la tête des cuisines de Gagini à Palerme depuis 2020, regarde sa nouvelle patrie d’adoption comme on regarde un pays de Cocagne : « Palerme est une ville bouillonnante et âpre – plus encore que São Paulo d’où je suis originaire –, elle m’inspire, mais dès que j’ai le temps je parcours le reste de l’île, sans parvenir à en épuiser les richesses. »
À bouche que veux-tu
24 IGP et 23 dénominations viticoles ; des forêts de chênes, un relief enneigé, des zones quasi subtropicales ; un élevage florissant et une mer omniprésente. Pour s’y retrouver dans cette abondance qui jamais ne connaît de saison morte, rien de tel que les travaux pratiques, sur le marché de Catane. Les étals y sont autant de chapitres d’une encyclopédie vivante de la cuisine sicilienne où les poissons règnent en maîtres, déclinant toute la faune marine méditerranéenne. Espadons et thons en tête, cernés d’une noria de coquillages et de crustacés, depuis les petits escargots de mer jusqu’aux oursins en passant par les très prisées gamberi rossi. Guide précieux dans le labyrinthe des crieurs à l’organe inépuisable, Giorgio Longo, Catanais émigré à Anvers où il a ouvert son bistrot contemporain Arrikiiati et sa cantine sicilienne Cannolo, montre la voie entre les échoppes.
« La pêche joue évidemment un rôle central dans notre culture culinaire. La sardine et l’anchois – les poissons des pauvres pour ainsi dire – font partie du menu quotidien, tout comme le thon, dont nous consommons l’intégralité : le lattume (la semence), la bottarga (les ovaires) ou encore le buzzonaglia (la chair raclée sur la carcasse). Mais il ne faut pas négliger pour autant l’importance de la viande. Là aussi avec une tradition forte autour des abats. On mange tout en Sicile, rien ne se perd. » Les assiettes de quarume, un mélange de viscères de veau et de légumes cuits dans une immense bassine, servies à la louche en guise de petit-déjeuner sur un stand voisin ou les rangées de stigghiola, de l’intestin d’agneau roulé autour d’un oignon nouveau, confirment ses dires.
Mare Nostrum
On pourrait continuer la liste des produits typiquement siciliens à l’envi – pistaches, amandes, noisettes, agrumes, viande de cheval… – ou disserter sans fin sur les spécificités régionales de telle ou telle recette – arancini ronds de Palerme ou pyramidaux de Catane, cannoli de Raguse ou de Marsala, pidone de Messine ou cartocciata catanaise – ce qui définit sans doute le mieux le goût de la Sicile, c’est la synthèse d’une cuisine de produit fondamentalement italienne et d’une profonde influence arabe perceptible dans les saveurs et les techniques. « Les desserts, très sucrés avec la présence de miel et de pâtes frites, en sont un parfait exemple », poursuit Giorgio Longo. « Dans la cuisine palermitaine, on trouve aussi une sorte de couscous, des échanges commerciaux avec le Maghreb. Mais le point le plus marquant à mon sens est la présence de l’aigre-doux dans de nombreuses préparations. »
D’une rive à l’autre
Des tranches d’orphie, marinées à l’huile et au sucre, une eau de tomates vertes, une crème de zestes de citron et des fraises au sel. Le troisième plat du menu à l’aveugle servi chez Materia par la cheffe catanaise Bianca Celano se fait l’écho de ce penchant pour le contraste. Il illustre également une autre facette de la cuisine sicilienne, la simplicité apparente. Mise en miroir par Davide Catalano dans son Qualia, perché sur les hauteurs du village de Cefalù. Une tomate, tranche épaisse, tout juste grillée. Des câpres, des fleurs d’ail des ours, une réduction de gazpacho et d’huile d’olive. Les créatrices et les créateurs culinaires de l’île partagent une inclination pour l’épure qui répond en contrepoint aux débordements baroques des églises et aux envolées lyriques du héros national Vincenzo Bellini.
Et puis, en parcourant, sous l’œil de crapauds replets, les lacets montagnards des Nebrodi, l’île fertile dévoile une dernière surprise, dans les frimas et les ondées d’altitude. Chez Fattoria Borrello, où l’élevage de porcs noirs du papa Franco s’est doublé d’une osteria tenue par la fille Anna Laura, Alessandro Maniaci donne une seconde jeunesse à une cuisine de terroir en autarcie. N’utilisant que les produits de la ferme, le chef au brillant parcours s’affirme comme le précurseur d’un mouvement de retour aux sources et à la nature qui anime nombre de ses collègues. Gaetana peut dormir tranquille, la tradition n’a pas fini de se réécrire et de faire fleurir ses nouvelles pousses.
Peyo Lissarrague
Photos William Lacalmontie
L'ITALIE À L'HONNEUR
En 2023, le festival Sirha Omnivore célèbre ses 20 ans et met l’Italie à l’honneur. Dans ce cadre, Sirha Food et l’ICE-Agence italienne pour le commerce extérieur à Paris s’associent pour promouvoir la pluralité et l’authenticité de la cuisine italienne. Un voyage culinaire au cœur des régions transalpines qui a débuté en janvier à Sirha Lyon, et se poursuivra jusqu'en septembre à Paris, avec l’organisation partout en France de pop up dinners à quatre mains par des chef.fe.s italien.ne.s et français.e.s.
L’avant-dernier dîner se déroule au Touquet, à l’occasion de la deuxième édition de Sirha Omnivore Nord. Dans les assiettes, un axe Nord-Sud servi sur les lieux mêmes du festival par le jeune Sicilien Alessandro Maniaci (Fattoria Borrello, Raccuja, Sicile), petit génie de la jeune garde gastronomique italienne, et Ismail Guerre-Genton (Empreinte, Lambersart), Nordiste pur jus, qui pratique une cuisine de terroir des plus créatives à toucher de Lille.