Ismail Guerre-Genton a cuisiné le temps au festival Sirha Omnivore Nord. C’était dimanche, du matin au soir.
Festina lente. Y aller piano pour réussir un travail bien fait. C’est désormais le tempo d’Ismail Guerre-Genton. L’arrivée de sa première fille y est sans doute pour beaucoup. Le temps depuis lequel il mature son savoir-faire cuisinier personnel après avoir maîtrisé celui des grandes maisons qu'il a fréquentées (Michel Bras, Emmanuel Renaut, Christian Têtedoie…), tout autant. Et enfin, sa conscience humaine, qui lui impose de réfléchir au sens. De la vie, de sa cuisine…
Du temps, Ismail et Inès en accordent à Empreinte, à Lambersart, et à leurs invités – Inès, solaire maîtresse de maison, ne dit pas « client », mais « invité » – depuis sept ans. Petit à petit, comme ses Sang et Or de cœur qui atteignent cette année la Ligue des champions après une demie de Coupe de l’UEFA en 2000 et une coupe Intertoto en 2005, Ismail est monté en puissance, s’est installé dans le paysage du Nord comme un fer de lance de la gastronomie, heureux du coup de projecteur mis sur son terrain de jeu labellisé région européenne de la gastronomie cette année. « Ça ne révolutionne pas tout, mais c’est bienvenu. » C’était sa conclusion à la table ronde du Sirha Food Forum de dimanche. Il était 11 h 30.
Cuisiner le temps
Une heure plus tard, direction la scène Chef.fe.s. Cette fois, Henri, Victor et Baptiste accompagnent le couple parmi les plus complémentaires du paysage gastronomique français. « Je veux cuisiner le temps », annonce-t-il à Aitor Alfonso, l’animateur de la scène. Le temps de séchage d’un poulpe ; de la maturation pour concentrer l’essence d’un produit ; de la fermentation de ses kimchis ; de l’infusion de ses vinaigres ; le temps court que requiert cette laitue cuite au barbecue, pressée, dont les amers se déchaînent avec le condiment au crabe vert et la poudre de pain séché… Et aussi : « Le temps s'arrête à Empreinte dès qu'on passe la porte », explique Inès. Pour trois bonnes heures si on opte pour le menu le plus long.
Le temps se conjugue aussi dans la cuisine d’Ismail. C’est le passé qui rencontre le présent avec son plat 100% champignon, nageant dans un exceptionnel garum (la plus ancienne sauce de la cuisine, avec le verjus) de cueillette de champis (qui travaille depuis octobre). « C'est le présent qui remet le passé au goût du jour », quand il enrobe son pigeon désossé, de cire pour qu’il mature sans trop de déshydratation, une moutarde d’abats et des crosnes, ces délicieux tubercules désuets, qui révèlent au bout de deux ans de fermentation des notes de fromage, devenant du parmesan végétal.
Le temps suspendu enfin, à vingt heures quand les convives du quatrième pop up dinner organisé dans le cadre du partenariat entre ICE, l’agence italienne pour le commerce extérieur à Paris, prennent place dans le salon rouge du Palais des Congrès au Touquet-Paris-Plage. La région italienne que ce dîner somptueux met en lumière est la Sicile, un axe Nord-Sud dessiné à quatre mains avec le jeune Alessandro Maniaci. Les deux hommes ne parlent pas leur langue respective, mais un anglais sommaire, un peu de sémaphorisme et une affinité immédiate entre leurs énergies de cuisinier les soudent et ont donné un menu de haute volée, dont la plupart des éléments avaient été réalisés sur la scène Chef.fe.s par les deux chefs.
Revoir les masterclass d’Ismail Guerre-Genton et Alessandro Maniaci
Le lendemain, lundi funky pour tous les étudiants venus de huit lycées de la région, dont le lycée hôtelier du Touquet, on a encore entendu parler de temps. Compressé, pour le coup. Entre Camille Delcroix, qui a sorti son plus grand menu du Bacôve à Saint-Omer, soit dix plats, en 35 minutes chrono, et Alexandre Gauthier, parrain de Sirha Omnivore Nord, qui a fait la démonstration des plats « minute » qu’il donne à sortir à Sur Mer, sa toute nouvelle adresse à Merlimont. Les huîtres qui font chacune leur numéro (sans vinaigre d’échalotes, « Je ne comprends toujours pas ça », nous aussi), les moules, le carpaccio de daurade (un filet aplati dans une tortilladora), la soupe de poissons glacée servie comme un cocktail avec son diamant géant et son granité de glace et des surprises au fond…
Rideau donc sur cette deuxième édition. Rendez-vous l’an prochain. Même temps – trois jours –, même endroit.
Audrey Vacher