Romans graphiques, sommes monoproduit, revue bien faite et pas mal d’histoire(s)… C’est ce qu’on a mis dans notre cabas à livres de rentrée.
CÉRÉALES HAUTE MOUTURE
« Pour moi, les céréales ne sont pas seulement un ingrédient utile et gourmand à découvrir. Elles s’insèrent dans la réflexion que je mène pour une cuisine plus engagée et durable. Car les céréales sont depuis toujours au cœur de notre tradition agricole française, et désormais au cœur de la transition énergétique et de notre alimentation future. […] Je veux pouvoir vous montrer que les céréales ne doivent plus seulement servir d’alimentation au bétail, ou d’ingrédients ultraraffinés par l’industrie agroalimentaire. » Ainsi parle Manon Fleury, jolie ambassadrice de la cuisine végétale, qu’elle veut ici aborder par autre chose que les légumes et les herbes aromatiques avec une team 100% féminine (écrit avec la collaboration de Camille Oger, photographies de Pauline Gouablin, illustrations d’Aleksandra Miletié). Au moyen de 74 recettes super lisibles (pour qui, avec ou sans quoi, en combien de temps et pour quel niveau), les unes plus gourmandes et colorées que les autres, pour toutes les saisons et même « les jours maussades ». Des plats omnivores côtoient des bouchées, des soupes, des desserts, des boissons… et un cahier pratique qui porte vraiment la promesse vendue avec ses explications sur la diversité des variétés.
DES AGRUMES EN UN VOLUME
Anne Etorre, elle, s’est attaquée aux agrumes. Une ode à l’acidité avec douceur dans ce monde de brutes. Avec la fraîcheur de sa personnalité, sa plume concise et honnête et le sérieux que requérait le fond et la forme de ce « Grand livre » réalisé en un temps record au vu de la somme à centrifuger, soit un peu plus d’un an. Pour ce faire, elle a pu compter sur des chef.fe.s férus du produit, qui de Pascal Barbot pour sa préface, de William Ledeuil pour un éclairage de son cru, ou de la belle brochette de sommités gastronomiques qui lui ont confié plus de la moitié des recettes au menu de ces près de 400 pages (même si on confesse une tendresse pour la confiture de sa maman). Ce n’est pas un catalogue exhaustif ou encyclopédique (donc chiant) de toutes les variétés existantes, mais une approche salutairement vulgarisatrice plutôt que savante de ces fruits qui inspirent sérieusement les chef.fe.s depuis une quinzaine d’années.
De l’anatomie de l’agrume (on ne dit pas zeste, mais flavédo, ni zist(e) mais albédo), à ses conditions de culture en passant par ses aires de production et d’origine, vous saurez tout. Il existe plus d’une centaine de variétés d’agrumes en France, aux couleurs et saveurs infinies, mais elle s’est concentrée sur 18 d’entre elles, appuyée par les photos de Claire Curt, et distille des trucs et astuces pour transformer et conserver ces fruits.
« PA-PIER VELOURS ET D’ESTHÉTIQUE… »
Ce n’est pas un ouvrage de rentrée mais le Papier originel de Valentine Cinier (jeune et pétillante journaliste qui a monté sa maison d’édition à ses risques et périls au gré des aventures de l’auto-édition et c’est formidable), sorti cet été en version enrichie. Et ça nous permet de vous parler de ce super guide, dans lequel on se reconnaît. Ce ne sont pas uniquement des adresses, le meilleur de la région néanmoins, il y a aussi du reportage sur des artisans et producteurs rattachés à la table et ses arts, une carte des adresses joliment illustrée, des rencontres et des découvertes, et un soin, qu’on salue et chérit, apporté à la belle photo qui fait sens. Ça se lit comme une revue, le format est idéal, la prise en main veloutée et le prix, justifié. Valentine a aussi sorti un Papier Bretagne et Provence.
Papier Pays Basque
(réédition enrichie) De Valentine Cinier, éditions Papier, 20€
À commander ici
DU MONDE À L’ASSIETTE, QUELLE HISTOIRE !
Ces deux historiens-la sont géniaux. Après leur fort intéressant Magasin du monde, qui abordait la mondialisation par les objets du XVIIIe siècle à nos jours en 2020, les super profs d’histoire contemporaine Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre publient en cette rentrée L’Épicerie du monde, abordant leur sujet favori par les produits alimentaires cette fois. « Une histoire vitale et réjouissante », écrivent les deux directeurs de cet ouvrage écrit par un casting foisonnant d’historiens. 88 items, de la viande au barbecue au rooibos en passant par le whisky, le piment, les biscuits pour animaux, les colorants et conservateurs, le glaçon ou encore le cassoulet. La forme est parfaite, de courts chapitres clos par des éléments bibliographiques pour aller plus loin et ailleurs, où se mêlent toutes les petites histoires (politique, marketing, industrie, circulation…) dans la grande, par la magie d’un style concis.
ZAZIE DANS LE RÉTRO
En partant d’un cahier de recettes, la journaliste Zazie Tavitian, jeune collaboratrice d’Omnivore, est partie à ses risques et périls (l’avion, ça la crispe) jusqu’en Israël à la recherche de son arrière-arrière-grand-mère, Jeanne Weill, exterminée à Sobibor, en Pologne, en 1943. Cette quête, qui avait déjà fait l’objet d’un superbe podcast en cinq épisodes en 2019, trouve sous les traits, sensibles dans la forme et poétiques dans les couleurs, de Caroline Péron, une nouvelle vie. L’émotion à la lecture est la même qu’à l’écoute. En ondes, Zazie racontait la quête de Jeanne, en cases, c’est Zazie en recherche qui est dessinée. À la tablette graphique en privilégiant une mise en couleur à l’aspect crayonné, comme la typographie choisie. Une graphie manuelle qui rappelle les journaux intimes adolescents rédigés au stylo à encre bleue, logés dans des carnets à spirales. Un carnet de voyage sensible, vivant, au bout duquel elle aura goûté quelques recettes de Jeanne et rencontré sa famille.
TRAIT NATURE, SANS SULFITE, SANS FILTRE
Il est des romans graphiques comme ça, qui sentent bon leur sujet, dont le trait happe d’emblée et qu’on referme après les avoir bu (pardon, lu) d’une traite, aussi satisfait qu’après avoir lu (pardon, bu) l’essence de la vie au fond d’une bouteille dosée au talent. Comme celui de Louis Mesana, boss du Montezuma Café à Paris, dessiné par l’illustratrice Marthe Poizat, par exemple, et édité par les nez fins de Nouriturfu.
Une histoire qui s’emballe en fin de service, dans les bas-fonds de la vie (extra)ordinaire des gens de la restauration, entre canons d’exception (ou pas), virées grises chez les flics et quatre vérités entre gens qui ont quelques heures de vol – pour volatile, entendons-nous (« Mais qui sont les gens qui veulent boire du vin libre sans en supporter les défauts ? »), les quatre fers en l’air, le vêtement fripé, la gueule enfarinée. Ça parle de vin « au présent », qui « ne se boit pas avec la tête mais par le corps » et ça raconte une aventure de Charlie et Steve, serveurs avertis du Fillmore, bistrot branché aux vins naturels (remplacez le Fillmore par le nom de votre cave à manger préférée, où vous écrivez une partie de votre vie nocturne et enrichissez votre culture vinique), embarqués par la maréchaussée après la mort d’un Japonais « buveur d’étiquettes » quelques heures après que ce dernier leur a révélé qu’il avait passé la soirée avec Dimitri Leonidovitch Costat, vigneron virtuose disparu de la circulation depuis 2012. Ce n’est pas survendu en quatrième de couverture : « La Quille du siècle est une épopée éthylique dont on ressort ivre de joie ».
Audrey Vacher
PS : Élisabeth Scotto, auteure de nombreux livres de cuisine, dont Les légumes oubliés et Secrets de cuisine aux éditions du Chêne, nous a quittés le 26 septembre dernier. Journaliste, elle a collaboré à de nombreux magazines comme Cuisine et Vins de France, Elle à table et Elle, dont elle a réalisé les célèbres « Fiches Cuisine ». Toujours au Chêne, elle a également publié avec ses deux sœurs, un indispensable de toute bonne bibliothèque gastro, La bible culinaire des sœurs Scotto (35€).