Eva Tornberg : « Le marché de l'alimentaire a besoin des chercheurs »

Eva Tornberg accumule les années de recherche sur les protéines végétales depuis les années 70, à l'université de Lund. Dans sa Suède natale, l'éminente scientifique a une marotte : la pomme de terre et ses possibilités. Elle fait partie de ces chercheurs de l'industrie alimentaire qui cherchent des solutions carbone neutre à notre alimentation. Sans le savoir, elle a créé la tendance qui plaît en 2022 : le lait de pomme de terre. Mais derrière la tendance, un chantier de savoir, qui peine encore à toucher les entrepreneurs. 

Eva, le lait est un produit scientifique précis, vous l'étudiez depuis les années 70 en Suède. Vous avez, créé la tendance anglo-saxonne, le lait de pomme de terre. N'avons-nous pas le sentiment que chaque année, un nouveau "lait" fait son apparition, ou ce n'est pas aussi simple ?

Je travaille sur les protéines de pommes de terre, depuis les années 70, j'ai produit ma thèse sur ce sujet. Mais je fais de la recherche alimentaire également depuis toutes ces années, j'ai un parcours assez large. Les protéines de pommes de terre sont très nutritives, elles sont riches en acides aminés, ce qui rend la pomme de terre à peu près aussi bonne que les protéines de viande. De plus, elles ne sont pas allergéniques à la différence de tous les autres laits. Le problème cependant, c'est que la pomme de terre est aisément endommagée, il est difficile de circonscrire les protéines sans les abîmer. Avec DUG, l'entreprise avec laquelle je travaille, nous avons découvert que si nous utilisions l'entièreté du tubercule, nous pouvions rescaper quelques-unes des propriétés. Dans le cas de DUG, la boisson que nous développons, nous utilisons uniquement de la pomme de terre déshydratée pour éviter de transporter de l'eau à tout-va. 

NOUS L'AVONS SOULIGNE, LES TENDANCES DANS L'ALIMENTAIRE SONT LA NORMES. ENORMEMENT D'ARTICLES SONT SORTIS SUR VOS RECHERCHES, ETES-VOUS PLUTÔT FRUSTREE DE VOIR VOS RECHERCHES REDUITES A UNE TENDANCE ?

Et bien, si on souhaite effectivement lancer une idée, il faut suivre les tendances... Je fais partie de l'industrie alimentaire depuis 20 ans, je sais que c'est important. On s'intéresse surtout de nouveau à la pomme de terre car elle est durable. La pomme de terre est la quatrième plus importante production agricole au monde après le riz, la farine et le maïs. Vous n'avez pas besoin d'aller vous exiler au fin fond des Andes pour dénicher du quinoa, la pomme de terre est disponible. C'est une commodité. La pomme de terre est merveilleuse, riche, elle peut être cultivée sur de mauvais sols, des sols sableux, elle n'a pas besoin d'autant d'eau. L'amande ou le riz ont un besoin d'eau absolument énorme comparativement. La pomme de terre a besoin de 287 litres d'eau par kilo alors que l'amande nécessite 6000 litres d'eau par kilo, c'est comparativement dérisoire. Le changement climatique est réel, et l'empreinte carbone de ce que nous produisons également. En cela, produire du lait de pomme de terre est intéressant. 

AVEZ-VOUS CONSTATE DES LES DEBUTS DE VOS RECHERCHES IL Y A UNE QUARANTAINE D'ANNEES QU'IL ETAIT DEJA NECESSAIRE DE CHANGER LES HABITUDES ALIMENTAIRES, NOTAMMENT CHEZ VOUS, EN SUEDE ?

Non, mais j'observe toujours ces changements par ailleurs. Je ne peux m'arrêter d'observer et d'y travailler ! Je ne suis pas têtue au point de dire que tout doit être dorénavant végane. Nous pouvons bien sûr s'alimenter grâce à de la viande, mais nous en mangeons trop et nous sommes nombreux. En France, je crois que vous consommez autour de 100 kg de viande par personne par an, il faudrait descendre à 40 kg... La science de l'alimentation est très conservatrice, l'industrie alimentaire l'a été longtemps également, on peut le dire : on a longtemps voulu que ce soit « comme maman à l'habitude de faire ». Mais dorénavant, avec ce spectre des nouveaux aliments d'origines végétales, c'est un tout nouveau champ qui s'ouvre pour les chercheurs et les scientifiques, le marché vient aussi nous chercher, je peux vous dire que cela me rend enfin heureuse ! Il y a un vrai besoin de science et de chercheurs. On peut toujours se dire : du lait de pomme de terre, pourquoi n'y ai-je pas pensé avant ? Non, vous aurez toujours besoin d'un background scientifique. Il y a de vrais challenges, dorénavant je travaille également sur une viande analogue, à base de protéines de pommes de terre, et ce n'est pas simple, c'est pour cela que vous devez faire confiance à la science, à l'ingénierie que cela demande, à la chimie que cela convoque, tout cela ne se fait pas simplement, il faut réellement connaître les aliments et leurs propriétés.

Propos recueillis par Hannah Benayoun