La portafoglio, la rotolo, la napolitaine, l'américaine... Julien Serri, tient son dico de la pizza mieux que personne.
Comment s’attaque-t-on à l’étude empirique de la pizza ?
C’est une passion. Mon côté atypique c’est que je me suis intéressé d’abord à la cuisine et enfin à la panification. Le produit m’a toujours plu, la pizza m’a toujours parue facile, étant d’origine italienne. Je me suis vite rendu compte que cela était beaucoup plus complexe et de la complexité est née la passion. Cependant, je me suis trouvé à l’étroit, c’est ce qui a fait que je me suis tourné vers la cuisine et enfin la boulangerie.
La pizza ne souffre guère de pénurie d’offre. Mais pour durer, doit-elle être réinventée constamment ?
J’ai une petite phrase pour en parler : 100 % des gens « normaux » aiment la pizza. Je le dis en plaisantant, mais personne ne veut partir en vacances avec quelqu’un qui n’aime pas la pizza ! Pourquoi ? Elle se réinvente justement tout le temps. Elle est récente, on peut trouver des origines lointaines mais elle n’est pas très vieille. La pizza a suivi patiemment les vagues d’immigration, on a connu la napolitaine, la romaine et enfin, l’américaine, et même chaque ville a sa typologie de pizza, on n’a pas besoin de la réinventer elle suit son histoire, elle est en cours d’écriture, on n’est pas sur un produit arrêté.
Pour la portafoglio, la rotolo, certains y verront une manière, une technique pour la déguster…
La portafoglio est née comme ça, elle vient de la pizza fritta, celle que l’on peut voir dans l’Or de Naples avec Sofia Loren (1954), où on peut la voir en vendre dans son garage… Il y avait déjà toute cette mécanique populaire mise en place : on la mange aujourd’hui, on la paie dans une semaine. On vendait à l’époque la pizza à crédit, les boulangers s’y sont mis également et la portafoglio a vu le jour. Cela a toujours été un « en-cas de rue », puis, la pizza est devenue « chic »… A ce moment-ci, elle est sortie de ses atours de portafoglio pour finir dans une assiette et coupée avec un couteau et une fourchette, la pizza que l'on connaît dorénavant.
A tort, on utilise souvent l’idée de nouveau concept, mais on puise surtout dans des terroirs centenaires. La pizza s’inclue-t-elle dedans ?
On n’invente jamais rien, la pizza rend humble. Il faut reprendre les anciennes recettes, les redire ou les revisiter.
Quelles ont été les vraies difficultés lorsque vous avez emprunté le chemin de la pizza ?
Le rapport au client. La pizza est populaire, elle doit être peu chère, bon marché. Avec Magnà, on proposait une pizza que l’on mangeait debout, simplement, mais dès que l’on devait expliquer que l’on travaillait une farine bio, meulée à moins de trente jours, on devait justifier le prix d’une pizza, notamment par le sourcing. Nous vivons une période très compliquée pour la ce plat, on quitte une phase où la pizza était cheap ou premier prix, mais maintenant que la qualité se démocratise, par définition c’est moins rare. C’est moins « bankable » qu’avant, car il faut proposer une vision propre. Les clients deviennent eux-mêmes experts, émettent des avis tranchés.
Alors, on tranche ? La pizza appartient à la boulangerie ou à la restauration ?
Un pizzaiolo, c’est 50 % d’un cuisinier, 50 % d’un boulanger. Il doit avoir l’œil sur les deux. La pizza reste un produit de restaurant. Pourquoi ? En pizzeria, c’est le client qui décide de quand la pâte sera cuite, en boulangerie, tout l’inverse : le produit est en vitrine et attend le client. Mais peut-on parler aussi d'une pizza boulangère ? Mais si je pense à Gabriele Bonci (Bonci Pizzarium, Rome), qui est un dieu de la pizza al taglio (technique au levain, ndlr), il y a écrit sur sa devanture : interdit de faire des comparaisons. Il ne se considère pas forcément pizzaiolo et il possède notamment un laboratoire de boulangerie, mais il vend de la pizza à la part, pré-cuite. C'est la définition de chacun qui décide si la pizza est boulangère, ou non.
Julien Serri continue notamment d'animer sur YouTube de la Fourche à la Fourchette ! Une rencontre de 24 h avec un producteur.
Propos recueillis par Hannah Benayoun / Photo : Hugo Tordjman