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Une histoire de transmission

Le 04 octobre 2024

Marie Quatrehomme, première femme Meilleur Ouvrier de France en fromagerie, et sa fille Nathalie, incarnent la passion et l’innovation au cœur de leur maison familiale fondée en 1953 par les beaux-parents de Marie. Entre affinage méticuleux des comtés et créations uniques comme le Mont d’Or aux truffes, elles réinventent chaque jour leur métier avec un amour profond pour le produit et la volonté constante de valoriser l’artisanat fromager.

Marie Quatrehomme, première femme Meilleur Ouvrier de France en fromagerie, et sa fille Nathalie, incarnent la passion et l’innovation au cœur de leur maison familiale fondée en 1953 par les beaux-parents de Marie. Entre affinage méticuleux des comtés et créations uniques comme le Mont d’Or aux truffes, elles réinventent chaque jour leur métier avec un amour profond pour le produit et la volonté constante de valoriser l’artisanat fromager.

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Est-ce que le fromage a toujours été une vocation ?

Marie : Clairement non. Il était entendu que mon mari, fils de fromager, reprendrait l’affaire de ses parents. Je lui avais dit que je ne voulais pas être commerçante mais, ne trouvant pas d’emploi, j’ai finalement accepté de reprendre l’entreprise familiale avec lui. Plutôt que de me plaindre, j’ai décidé de m’approprier ce métier et j’ai découvert toute l’humanité qu’il renferme. À l’époque, on se retrouvait souvent à des dîners avec des personnes ayant fait de grandes études, et on se sentait un peu en décalage. Mais les métiers artisanaux ont pris de la valeur
au fil du temps. Le fromage que l’on reçoit n’est pas le même que celui que l’on vend, car entre-temps, on s’en est occupé.
Nathalie : Et c’est cette découverte du travail de conservation et d’affinage qui a vraiment transformé notre perception du métier.
Marie : Oui, exactement. C’est cette partie-là qui m’a fait aimer ce que je fais et qui m’a donné envie de m’y investir
pleinement.

C’est ce qui vous a donné envie de passer le concours de MOF ?

Marie : Mon mari, reconnu comme un grand professionnel, faisait partie des fondateurs du concours des Meilleurs
Ouvriers de France (MOF) pour les fromagers. Un soir, il est rentré en disant que les fromagers allaient enfin pouvoir participer. Je me suis tout de suite dit que c’était une occasion à ne pas manquer. À l’époque, je voulais surtout savoir où je me situais par rapport à mes collègues. Je me suis présentée non pas en tant que Marie,
mais comme la femme d’Alain. C’était une occasion de me tester et de voir où j’en étais.

Quel était la place de la femme au sein de la crémerie-fromagerie à ce moment-là ?

Marie : C’était un milieu énormément machiste. Les hommes étaient les patrons, et leurs femmes tenaient la caisse, sans vraiment être impliquées dans la gestion. Je pense que c’est aussi par fierté que je l’ai fait. Mon mari était déjà bien installé dans le métier, donc il y avait moins d’enjeu pour moi de me présenter.
Nathalie : C’était une époque où il fallait vraiment se battre pour faire sa place. Même moi, à mes débuts, j’ai dû prouver ma valeur face à des hommes qui n’étaient pas toujours prêts à accepter une femme dans ce rôle.

Est-ce que de la même façon que votre mère a longtemps été uniquement nommée comme la “femme de”, ça n’a pas aussi été difficile d’être la “fille de” ?

Nathalie : Si, clairement. Cela prend du temps de gagner en confiance et de se faire un nom. Il y avait une pression,
une responsabilité d’être « fille de ». Je n’étais pas forcément destinée non plus à reprendre l’entreprise familiale, mais il y avait une certaine attente. C’est un processus long et parfois difficile.

Est-ce que c’était une envie de votre côté, Marie, que vos enfants reprennent la maison ?

Marie : C’est une telle somme de travail, avec des contraintes administratives et financières, que je ne suis pas sûre que nous voulions cela pour nos enfants. Mais nous les avons emmenés très tôt voir les producteurs et nous leur avons montré notre passion pour le métier.
Nathalie : Ils ne nous ont jamais poussés, mais ils nous ont montré le métier de manière intelligente et passionnante.
Marie : Oui, et je me souviens encore de mon fils Maxime à cinq ans, regardant la fabrication du reblochon et me demandant s’il pouvait retourner voir les cloches de la grange. Ils sont tombés dans la marmite tout petits, mais nous n’avons rien fait pour les forcer. Nous voulions simplement partager notre amour pour ce produit.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance au milieu du fromage ?

Nathalie : J’ai grandi dans la fromagerie, derrière le comptoir. Les visites aux producteurs en été sont des souvenirs très marquants. J’ai commencé à travailler très jeune, d’abord comme caissière, puis vendeuse. Mes parents embauchaient même mes copines et copains pour aider. Maxime, était aussi très impliqué dès l’âge de dix ans.
Marie : Oui, je me souviens de Maxime qui emballait les fromages de chèvre tout en évitant de croiser le regard des clients par timidité.

Et à quel moment vous vous êtes dit que c’était votre vocation ?

Nathalie : Après mes études, j’ai travaillé dans le marketing agroalimentaire pendant cinq ans et j’adorais ça. Mais il y a eu un moment où j’ai senti que je devais revenir à la fromagerie pour ne pas avoir de regrets. Même si c’était dur, assez rapidement, j’ai su que c’était ma place.
Marie : Nous avons toujours voulu que nos enfants trouvent leur propre chemin, mais nous sommes très fiers qu’ils aient choisi de reprendre l’entreprise familiale.

Est-ce que la transmission n’a pas été trop dure, d’un côté ou de l’autre ?

Nathalie : Si, la transmission a été violente, car elle s’est faite de manière contrainte et forcée. Ma mère a dû arrêter du jour au lendemain à cause d’un problème de santé, et mon père a aussi pris sa retraite plus tôt que prévu. Nous avons dû apprendre rapidement et nous adapter. Pour moi, même si finalement la transmission a commencé quand j’avais huit ans, j’ai le sentiment de ne pas avoir bénéficié suffisamment de son savoir. Très souvent, je trouve que j’ai manqué de temps à travailler avec elle.
Marie : Ça a été une période compliquée mais nous avons essayé de faciliter la reprise pour eux. Nous étions tellement fiers qu’ils reprennent l’entreprise familiale. Je dis souvent que le plus beau cadeau que nous ont fait nos enfants c’est quand on passe devant la boutique et que ça s’appelle toujours Quatrehomme.
Nathalie : Heureusement, nous avons eu une équipe formidable qui nous a beaucoup soutenus pendant cette période de transition.

Après toutes ces années à avoir baigné dans le fromage, est-ce que vous avez l’impression que les goûts des gens ont changé ?

Marie : Oui, absolument. Ce que j’ai observé, c’est d’abord un intérêt croissant pour le produit. Les consommateurs veulent maintenant savoir d’où vient le fromage, comment les troupeaux sont traités... Ils s’intéressent à la façon dont le fromage est conservé, affiné, et acheminé.
Nathalie : On sent une évolution dans la façon dont le fromage est considéré. Aujourd’hui, nos clients comprennent que le fromage que nous recevons n’est pas le même que celui que nous vendions. On observe aussi que le fromage est consommé à différents moments de la journée, pas seulement en fin de repas. Le plateau de fromage en fin de repas reste une tradition, surtout lors des repas de fête, mais les habitudes se diversifient.

Vous avez développé la gamme "Sélection Transgourmet par Marie Quatrehomme", quel sens donnez-vous à ce projet ?

Marie : L’idée d’apporter mon expertise à une gamme de fromages m’a tout de suite plu. Cela me permet non seulement de valoriser mon titre de MOF, mais surtout, de me lancer dans une aventure humaine. Avec Transgourmet, j’ai rencontré des gens qui parlent du produit avant de parler du prix, et ça, c’était essentiel pour moi. Ils s’intéressent à l’histoire du produit, à sa fabrication, et partagent des valeurs humaines auxquelles je suis très sensible.

Comment avez-vous pensé votre sélection ?

Marie : La sélection des fromages est guidée par la volonté de représenter toutes les grandes familles de fromages, en choisissant les meilleurs produits possibles. Nous avons cherché des producteurs capables d’assurer la qualité et la quantité nécessaire. Par exemple, pour le Rocamadour, il a fallu trouver un producteur capable de fournir les quantités demandées tout en maintenant une qualité exceptionnelle.

Par Alice Polack

Photo Ava du Parc