Dans la première hotte de Sirhafood.com, de beaux livres dans lesquels se cachent des recettes et de belles histoires.
En cuisiniers, dans le texte
858 pages. De quoi occuper les plages post-repas de fêtes ! Un digestif bien choisi, un cigare longue durée, pourquoi pas une cheminée… Cela semble le décor et l’atmosphère idéals pour apprécier la lecture de ces enrichissants propos recueillis de 59 chef.fe.s par l’éminent criminologue Alain Bauer (auteur de cette savoureuse citation : « La différence entre le crime et la gastronomie, c’est le mode de cuisson »). On choisit son chef ou on les lit à la suite proposée. Comme des nouvelles. Ils se sont livrés comme jamais au regard bienveillant mais interrogateur d’un Alain Bauer client qui « sait manger » sans pour autant s’imaginer cuisinier. Un gastronome à l’écoute et fidèle retranscripteur de savoureuses confessions gastronomiques, recueillies au creux de la vague pandémique qui frappe tous les milieux professionnels mais particulièrement celui de la cuisine. Un temps d’incertitude, de doute et de crise mis à profit pour se confier sur leur parcours, leur évolution, leurs projections… Au final, une vision optimiste de lendemains mieux cuisinés et une meilleure compréhension de ce que veut dire être un.e chef.fe de cuisine aujourd’hui.
Il dédie son ouvrage à un panel de chefs, de Guillaume Tirel, queux de Charles V sous le nom Taillevent, à Paul Bocuse, de critiques gastronomiques, aux Mères lyonnaises et à Marc de Champérard puis détaille sa méthodologie en Amuse-Bouche et ensuite son résumé de l’histoire, de l’évolution de la gastronomie en 70 pages exigeantes – et livrées en langage savant et sachant certes, mais digestes – présentées en Hors d’œuvre, avant de passer aux entretiens. « L’enjeu est, comme toujours, de comprendre d’où l’on vient pour imaginer l’après. »
Parcours, Substance, Ambiance, Et maintenant ? Ce sont les grands thèmes qui ont guidé les conversations à confessions. « Je ne crois pas avoir décidé un jour de devenir cuisinier, je pense que j’ai été choisi pour devenir cuisinier », lui confie ainsi Yannick Alléno. On y apprend des choses, Aizpitarte au Pays Basque, Mathieu Viannay tenté par la ferme auberge, Jacques Decoret qui avoue enfin son âge… Et, bonus, une recette de chacun.e.s en fin d’entretien.
Itadakimasu
Après un premier livre des recettes de la Cantine de minuit, célèbre seinen de Jarô Abe aux dix tomes déjà traduits (sur les 23 publiés en langue originale), décliné en série sur Netflix également, celui-ci met en scène quatre expertes de l'art culinaire, qui se sont glissées derrière les fourneaux et ont adapté 60 des recettes du manga à leur manière. Réparties en 5 chapitres : les dix « incontournables de ma Cantine de minuit » maison (tataki de bonite salée, rouleaux de porc au gingembre japonais...), des « plats généreux pour les gros creux » (ragoût de bœuf aux pommes de terre, bol de riz aux œufs et au karaage...), des « délices pour se requinquer » (crème salée aux œufs, udon sauce sésame...), des « bouchées apéritives fastoches avec le petit verre du soir » (trempette d'épinards sautés au yaourt, œufs pochés à la sauce aux huîtres...) et des « dîners copieux sans prendre un gramme, même à minuit, même au régime » (konjac au piment, tofu frit fourré au nattô et au fromage...). Le cadeau parfait pour les enfants qui quittent le nid et qu’on ne veut pas voir manger des raviolis en boîte.
Cartes de tendres
Ils semblent avoir trouvé leur rythme de croisière. Après nous avoir régalé les vignobles du monde en 2017, Adrien Grant Smith Bianchi aux illustrations et au graphisme, et Jules Gaubert-Turpin, à l’écrit – déjà coupables d’un magnifique Tour du monde en 80 verres il y a deux ans – récidivent avec les vignobles de France en ajoutant un player de la joyeuse bande à La Carte des vins, s’il vous plaît : Charlie Garros. Les trois loustics ont classé les 3 240 vins différents que la France produit chaque année par région, avec des indications claires et précises sur les vignobles, leurs cépages, leurs sols ou encore leurs climats, avec des illustrations, des schémas et une palanquée de cartes : 85, pour être précis (une autre idée cadeau, tiens, leurs posters sont superbes). Le beau livre à offrir à tout curieux du vin, amateur de cartographie.
Tu mitonnes !
C’est un petit carnet de voyage dont les étapes frappent au cœur. Souvenirs, Rites, Saisons, Envies, Lieux, Voyages amoureux… Ce sont les titres de chapitre de cette recollection des chroniques gourmandes de Jacky Durand dans les colonnes du journal Libération. Voyages en vrai. Entre le roman et le livre de cuisine, entre la chronique journalistique et le portrait d’époque (le gars lisait Modes et Travaux, écoutait Sardou, il maîtrise la tarte au riz de Maigret et sa grand-mère « activait le souper sur sa Godin »), suivez l’auteur dans ses pérégrinations, essentiellement gourmandes. Ce petit bijou est intemporel. Dans ses références, dans ses mises en situation et en contexte, dans ce qu’il raconte de comment la bectance (en plus, y a du vocabulaire !) nourrit l’âme et les sentiments…
En vert dans le texte – eh oui, la collection s’intitule « Qu’a pas de nom », mais Sabine Bucquet s’y connaît en beaux livres bien conçus et sait faire appel à des purs talents de l’illustration, ici Laurence Chéné, pour éditer de si belles choses depuis trente ans –, plus de 100 recettes qui en disent si long sur le goût de l’époque selon Jacky Durand : quiche aux bettes, céleri pané, risotto aux asperges, petit salé de la mer, carrelet au cidre, brandade de morue, ficelle picarde, tarte pomme-boudin, tajine d'agneau ou de veau, coq au vin jaune et aux morilles, pintade rôtie à la cocotte, beignets, truffes, coing confit, tarte aux noix... La recette la plus courte est page 49. À « D comme datte ».
On peut avoir autant de vies que de cuisines dans une existence. On peut s’y aimer, s’y détester, s’y confier, rompre, savourer un pouilly-fumé, massacrer une recette, apprendre la mort de Michael Jackson et surtout on peut y refaire indéfiniment le monde… »
Extrait de Cuisiner, un sentiment, prix Zyriab 2021
Le grand pastiche
Sans doute le livre à recettes le plus original de cette sélection, qui ne date pas d’aujourd’hui (de 2007 en l’occurrence) mais, en baguenaudant autour des tables des librairies, on s’est dit qu’il ferait un beau cadeau à tout gourmand amateur de lettres. Chacun des seize pastiches de grands écrivains, exercice littéraire auquel Mark Crick excelle – on lui doit aussi un Cuisinier, bricoler, jardiner avec les grands écrivains –, raconte une vraie recette, avec grammages et ingrédients, etc. De savoureux textes où l’essence de chaque auteur (on parle ici de Virginia Woolf, de Raymond Chandler, de Marcel Proust ou encore de Geoffrey Chaucer), traduits par des illustres (Patrick Raynal, Geneviève Brisac, Éliette Abecassis…) est fidèlement restitué par Mark Crick, illustré même par l’auteur. Pour en revenir au titre, il s’agit d’une soupe miso express façon Kafka (le personnage clé de l’exercice s’appelle K., Joseph de son prénom donc, avant son « procès », qui fera le succès de Franz K.), qui la confectionne en deux temps trois mouvements pour d’obscurs invités avec 3 cuillérées à café de pâte de miso, du tofu mou, quelques champis de Paris et feuilles de wakamé, et « en caleçon et en bras de chemise ». Absurde ? Tellement…
On ajoute volontiers dans la hotte le 4e Chassez le naturel de Pauline Dupin-Aymard ; Je mange bien, ne t’en fais pas, dans la collection le Banquet, dirigée par Ryoko Sekiguchi ; le numéro 1 de Bobine. Un magazine, conçu en freestyle maîtrisé, qui naît en 2021, on salue, Justine Hern.
Audrey Vacher