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Rouge Barre à midi, le Poisson Roux le soir… Deux repas cousus de fil rouge.

On s’est fait un film dans la grisaille tout lilloise sur le ton de ses briques, cette semaine. Dans les rôles principaux, deux des plus gros tempéraments des fourneaux locaux, Steven Ramon, chef de Rouge Barre, et Nicolas Pourcheresse, le cuisinier roux le plus célèbre de France (le mieux chaussé également – avec William Ledeuil –, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous, entre Crocs et Repetto, on a choisi…). Rouge, comme le point final de Kieślowski à sa magistrale trilogie (Bleu, Blanc, Rouge, sortis entre 1993 à 1995), qui partait en introspection dans la devise française « Liberté, égalité, fraternité ». Et si c’était rouge, comme la Ligne de Terrence Malick, sur les notes de l’In Paradisum de Fauré qui illumine la bande originale ? À voir… c’est aussi cela le charme d’aller au restaurant, l’excitation, le fantasme…

Rouge bien barré

Steven Ramon accueille, affable, apaisé, le verra-t-on au fil de ce déjeuner, dans sa maison rouge/brique/ardoise/bois face à l’ancienne et imposante halle aux sucres toute en briques rouges, devenue siège de la mairie de quartier du Vieux-Lille. 


Ces petits beignets de brocolis, poulpe et piment basque d'accueil motivent le verre de pinot d’Alsace du domaine Barmès-Buecher, tout en biody depuis 2011. La mise en bouche qui suit dans un timing énergique comme l’assaisonnement qui l’électrise, inspire confiance. Thonine, fenouil confit, et pêle-mêle dans un savant dressage tout en volume, radis, sarrasin, angèle, passion. Berthold au vin, Séverine et Alex en salle, sont parfaits, tous en jean rouge, comme en chorégraphie sur la playlist du même tonneau. En cuisine, ouverte sur la salle et le superbe mobilier, œuvres de Giani Desmet, artiste de Lestrem, l’équipe envoie du service dans le même tempo. Au passe, quand il y est, Steven Ramon n’envahit ni ne perturbe son équipe, qui bastonne. Et ça donne dans l’assiette, justesse des cuissons (la thonine, la Saint-Jacques, la canette, les légumes… un sans-faute), jus et assaisonnements précis, et festival de cuissons et de textures sur les légumes. Rouget (dodu)/choux/pomelo ; canette/salsifis/orange ; Ananas/avocat/citronnelle… 32 euros pour les trois temps, 25 pour deux. Une très bonne affaire du midi ici, où on fait comme ailleurs, vers la bande à Ladeyn : on se met à hauteur du client pour expliquer ce qu’on apporte à manger. 
Ce rouget, ces Saint-Jacques et gambas généreux et savoureux de fraîcheur, Steven Ramon, comme pas mal de chefs lillois et alentours, les obtient chez Martin Boulogne. Cette farandole de légumes de saison et aromatiques cultivés en permaculture provient du MIN de Lomme, Fruits de la terre, et d’autres petits producteurs du coin que Steven regrette de ne pas avoir le temps de défricher plus en profondeur…
Le menu change chaque mois, « et on n’est pas dans le profit, nous raconte-t-il. On est un des rares restaurants où il n’y aura pas de saint-Valentin qui est un lundi de fermeture, par exemple. » Il nous parle aussi avec fatalisme de la désertion et du dilettantisme du personnel, mais s’estime chanceux. Sur le front du covid, il a perdu sommelier et responsable de salle mais a gardé 100% du personnel. Il a fait comme tout le monde, s’est plié à l’emporter, mais a aussi ouvert ses chakras, prenant le tout nouveau comptoir Biltoki à Villeneuve-d’Ascq. « 18 couverts, on prend les produits du marché et on fait à manger au comptoir. »
Ah, il était donc tapi le gros tempérament dont on se souvenait en venant à lui. Tant mieux, les caractères, c’est fait pour s’exprimer après tout. 

Goûts roux

Il est 20 heures, toujours dans le Vieux-Lille mais au bout de cette rue Saint-André, ici étroite et improbable. Heureusement qu’on est pile à l’heure devant la grande façade vitrée du Poisson Roux, Nicolas Pourcheresse en rigole volontiers mais il déteste les traînards. Ça perturbe son pesca-scénario, écrit avec la cueillette de son Jardin à Hem pour un nombre de convives somme toute limité vu l’espace et le fait qu’il fait tout, seul. Son public ce soir est de composition idéale et plutôt mélomane si l’on comprend bien qu’un violoncelliste et un chef d’orchestre sont dans la place, alors il a sorti un grand solo. Nous sommes sept, devant et autour du superbe comptoir en marbre qui lui sert de table de mixage.



Le monde a changé, et pour s’y retrouver, Nicolas Pourcheresse, la cinquantaine superbe et la crinière ratiboisée, a cessé d’être Vagabond, la table de ses rêves ouverte en 2016 pour cuisiner les légumes qui sortent de son jardin, et le Red chef s’est mué en Poisson Roux. Poissonnier et traiteur de jour, cuisinier inspiré le soir et créateur H24, au point d’avoir monté une coopérative de chefs – la fraternité, sous-titre du Rouge de Kieślowski, on y revient – dans le but de relancer une pêche écoresponsable à Lille, amener les techniques propres de pêche aux restaurateurs et être un fournisseur de qualité, égalitaire. Il s’agit de réarmer un bateau, faire des formations sérieuses partout sur la côte, pratiquer une pêche durable et restituer le poisson à chacun à égale partie et en bonne intelligence, « de repenser la mer comme un jardin, nous dit-il. On met en place une seule cueillette, on ne cueille que ce que l’on maîtrise. Et pour ça, il nous faut une vraie connaissance du monde de la mer. »

Une cuisine, c’est de l'émotion apportée par une personnalité. Ici, c’est charmeur voire ensorceleur, enlevé, franc du collier et foncièrement chaleureux, généreux. Et diablement bon. Pour 75 euros amplement justifiés.



Les échalotes arrivent grillées dans leur robe, flanquées d’une bouchée de truite qu’on caresse de la mayo à l’ail fermenté ; les moules, dodues en pickles, coings confits sous une émulsion de champignons frais servies avec des brioches merveille ; la langoustine comme un sushi posé sur un maki où le nori est une feuille de blette et le riz, pas à sushi mais cuit impec tout comme, à imbiber du lait au sésame noir. Un 100% jacquère, appétant, sec, de Mathieu Apfel fait suite à un hautes-côtes de Beaune de Bonnardot en biodynamie pour donner encore plus de relief à ces vagues terre/mer déjà bien formées. Sur la plaque, une rosace nacrée de cabillaud sous des disques de betteraves diverses et de poire prend doucement la chaleur du feu… Un coup d’œil sous les chapeaux pour vérifier la cuisson, pendant que plus haut, des coques de navet dans lesquelles reposent des Saint-Jacques nous frappent par leur jeu blanc. Sur quel nuage va-t-on tomber ? Les mâches se superposent, joufflue pour le bibalve, fondante pour le légume qui s’est pris une petite soufflante en se posant sur la feuille de cuisson frottée à l’ail frais… Une dernière envolée sur des agrumes d’une vivacité jugulée et on a réaccosté le quai de la réalité, ravi de la traversée si bien accompagné, se dit-on en battant le pavé pour rentrer. 

« L'éternelle question consiste à savoir si en donnant aux autres un peu de soi-même, nous ne le faisons pas pour avoir une meilleure idée de nous-mêmes. » On ne sait pas si le Rouge et Roux partagent l’avis de Krzysztof Kieślowski, mais ils peuvent au moins transiger sur une variante « pour avoir une meilleure idée de la diversité de propositions à caractère de Lille ». À cette question-là, réponse trouvée. Positive. 

Audrey Vacher

Rouge Barre50 rue de la Halle, 59000 Lille

Le Poisson Roux112 rue Saint-André, 59800 Lille

Des adresses à retrouver dans notre guide en ligne
 

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