Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Quand la gastronomie s’invite au sein des hôtels  | Sirha Food

Quand la gastronomie s’invite au sein des hôtels 

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Face aux attentes d’une clientèle en quête d’expériences globales, l’hôtellerie repense ses modèles et place désormais la gastronomie au cœur de son offre. Les restaurants ne peuvent plus être négligés : ils deviennent des moteurs d’attractivité et des vitrines de créativité. Pour illustrer cette évolution, je suis partie à la découverte de trois tables d’hôtels, trois visions, et trois collaborations réussies entre chefs et groupe hôtelier. 
 
La Table du Ventoux : quand les hôtels misent sur la gastronomie locale 

Perchée au sommet du village de Crillon-le-Brave, dans le Vaucluse, La Table du Ventoux n'est pas qu’un simple restaurant d’hôtel, mais une vitrine gastronomique pour l’Hôtel Crillon le Brave, propriété du groupe Maisons Pariente. Ici, l’idée est claire : faire du restaurant une pierre angulaire de l’expérience client. Avec ses neuf bâtisses historiques, cet hôtel cinq étoiles joue la carte d’un luxe discret, en osmose avec son environnement. La Table du Ventoux, avec sa terrasse surplombant les vignobles, reflète cette philosophie. Mais cette montée en gamme des tables d’hôtels n’est pas qu’une coquetterie : c’est une réponse à une clientèle qui ne se contente plus d’un lit confortable mais cherche des expériences mémorables.  

Thomas Lesage : un chef ancré dans le terroir et l’humain 

Thomas Lesage n’est pas seulement le chef de La Table du Ventoux, il est aussi un passeur d’histoires, celles des produits, des hommes et de la terre qui composent ses assiettes. Son parcours atypique, marqué par des expériences aux quatre coins du globe – de l’Amérique Latine à l’Andorre en passant par l’Espagne – lui a permis de développer une cuisine inspirée. « J’ai toujours aimé comprendre d’où venaient les choses, connaître un visage derrière un produit, discuter avec les maraîchers ou les pêcheurs », raconte-t-il. À Crillon-le-Brave, cette philosophie trouve un terrain d’expression parfait, entre les producteurs locaux et la richesse des saisons provençales. 

Installé au sein d’un hôtel cinq étoiles, Thomas Lesage est conscient des attentes élevées de la clientèle, mais il voit cela comme un moteur plutôt qu’un frein. « Le luxe ici, c’est la liberté : la liberté de proposer un risotto de Camargue aussi bien qu’un skrei confit à la fleur de thym » Pourtant, intégrer un restaurant d’hôtel n’était pas une évidence pour ce chef habitué aux cuisines indépendantes. « Ce qui m’a convaincu, c’est l’approche globale : ici, on ne vend pas juste des plats, on propose une expérience complète. La cuisine devient un fil conducteur qui relie tous les moments passés dans l’établissement, du petit-déjeuner au dîner. » 

Au-delà de l’assiette, Thomas Lesage voit son rôle comme celui d’un catalyseur, autant pour son équipe que pour la clientèle. Il insiste sur l’importance de former et d’inspirer ses cuisiniers en les emmenant sur le terrain : « Tous mes collaborateurs sont venus avec moi voir les maraîchers, comprendre le travail derrière les produits. Ce respect de la terre et des hommes, c’est le cœur de notre métier. »  

Travailler dans un groupe comme Maisons Pariente apporte également des avantages uniques, selon lui : « Ici, on a des moyens incroyables pour aller chercher les meilleurs produits, mais aussi la responsabilité de ne jamais trahir l’authenticité du lieu. » Il jongle ainsi entre la nécessité de proposer une cuisine accessible, fidèle au terroir, et l’envie de se lancer dans des expérimentations plus audacieuses : « Je garde toujours une partie de la carte plus avant-gardiste, mais l’idée reste de ne jamais perdre de vue que les clients viennent ici pour se sentir chez eux. » 

Pour lui, la montée en puissance des restaurants d’hôtels est une opportunité exceptionnelle. Thomas Lesage incarne cette nouvelle génération de chefs pour qui la cuisine est autant un métier qu’un engagement : « On ne sauve pas des vies, mais on peut créer des souvenirs. Et c’est ça qui me motive chaque jour : offrir des moments qui marquent, que ce soit autour d’un dîner gastronomique ou d’une simple salade sur la terrasse. » 

Âme : une table éphémère au sommet des Chalets du Mont d’Arbois 

Niché sur les hauteurs de Megève, dans le cadre spectaculaire des Chalets du Mont d’Arbois, Âme, le nouveau restaurant éphémère d’Amélie Darvas, incarne la rencontre entre gastronomie contemporaine et traditions savoyardes. Cet hôtel cinq étoiles, récemment repris par le groupe Beyond Places, appartient au prestigieux héritage Edmond de Rothschild et s’inscrit dans la collection Les Petites Maisons, qui célèbre un luxe intimiste et ancré dans le terroir. Composé de trois chalets savoyards historiques, l’établissement offre un cadre exclusif et une vue imprenable sur les Alpes. 

Avec cette table éphémère, ouverte pour la saison d’hiver, Beyond Places adopte un format audacieux, encore peu commune dans l’hospitality. Amélie Darvas, cheffe étoilée prend ainsi possession des cuisines pour y déployer une vision à la fois personnelle et locale. Ouverte aussi bien aux hôtes de l’hôtel qu’aux visiteurs extérieurs, Âme propose un menu gastronomique en 8 temps, axée sur le végétal.  

Amélie Darvas : casser les codes, sans trahir l’esprit des lieux 

Si Amélie Darvas est une cheffe étoilée, ce n’est pas pour sa conformité : son approche instinctive et audacieuse a toujours été sa marque de fabrique. Formée par des grands noms comme Éric Frechon et Yannick Alléno, elle s’est affirmée avec Apönem, une adresse à contre-courant nichée dans le Sud de la France. À Âme, son défi est triple : imposer son identité culinaire forte, s’intégrer dans un hôtel qui valorise l’authenticité locale, et se démarquer dans une station aussi codifiée que Megève. « Megève a une clientèle très habituée à une certaine idée de la gastronomie. Mais c’est justement ce qui m’a motivée : montrer qu’on peut proposer autre chose, tout en restant en accord avec le lieu », explique-t-elle. 

Loin de se plier aux attentes, Amélie Darvas voit son rôle comme celui d’un électron libre qui bouscule « Beyond Places m’a fait venir pour ce que je suis, pas pour me conformer. Mais il fallait aussi trouver une vraie synergie avec l’hôtel et l’équipe. Ce n’est pas mon restaurant, c’est un projet partagé. » Une collaboration qu’elle qualifie de riche mais exigeante : « Être dans un cadre hôtelier, c’est accepter qu’il y ait d’autres attentes, d’autres enjeux. Il faut rester à l’écoute, co-construire, tout en préservant son intégrité. » 

À Megève, où le luxe alpin s’exprime souvent dans une cuisine codifiée, la démarche d’Amélie détonne. Avec Âme, elle propose une carte où le végétal tient le premier rôle, ponctuée de notes autant savoyardes que méditerranéennes « Je veux que chaque plat raconte une histoire, pas qu’il se contente de plaire. C’est un équilibre délicat, surtout ici, mais c’est ce qui me passionne », confie-t-elle. 

Le format éphémère ajoute une intensité supplémentaire au projet. « Ce n’est pas une adresse où l’on installe des habitudes, c’est un moment suspendu, unique. Cela me donne une liberté immense, mais aussi la responsabilité de marquer les esprits. » Elle reconnaît également que travailler dans un hôtel de luxe lui offre des opportunités rares : « J’ai accès à des produits incroyables et à une clientèle curieuse. Mais l’enjeu, c’est de les surprendre tout en les mettant à l’aise. » 

Avec Âme, Beyond Places prouve qu’un restaurant d’hôtel peut réellement être une extension gastronomique. Ici, l’expérience est à la fois éphémère et mémorable, portée par une cheffe qui refuse les compromis et un groupe qui ose sortir des sentiers battus.  

Gordon Ramsay au Trianon : une destination gastronomique au cœur du Trianon Palace 

Situé à Versailles, le Trianon Palace, établissement cinq étoiles de la chaîne Waldorf Astoria, se dresse en lisière du parc du Château de Versailles. Inauguré en 1910, cet hôtel historique allie élégance classique et confort moderne, offrant à ses hôtes un cadre raffiné et une expérience d'exception. 

Parmi les joyaux de l'hôtel, le restaurant Gordon Ramsay au Trianon se distingue comme une destination culinaire à part entière. Ouvert en 2008, ce restaurant gastronomique étoilé au Guide Michelin propose une cuisine française contemporaine, sublimée par des influences internationales. Sous la direction du chef Gabriele Ravasio, le restaurant offre des menus en cinq ou sept services, mettant en avant des produits de saison et des saveurs justes.  

Bien que faisant partie intégrante du Trianon Palace, le restaurant jouit d'une autonomie notable, attirant une clientèle qui le choisit spécifiquement pour sa réputation et son excellence culinaire. Cette indépendance relative permet au Gordon Ramsay au Trianon de se positionner comme une véritable destination gastronomique, au-delà de sa connexion avec l'hôtel.

Gabriele Ravasio : une passion culinaire au service de l’excellence et du défi 

Pour Gabriele Ravasio, la cuisine n’est pas qu’un métier, c’est une vocation née de son appétit pour l’univers dynamique et artistique qu’il a découvert dès l’âge de 11 ans. Formé en Italie, sa quête d’excellence l’a mené de Londres à l’Amérique latine avant de rejoindre la brigade du Gordon Ramsay au Trianon, grâce à l’appui d’un mentor qui l’a encouragé à franchir le pas. Aujourd’hui, en tant que chef de ce restaurant étoilé au Guide Michelin, il incarne une nouvelle génération de chefs pour qui tradition et innovation vont de pair. 

Être à la tête d’une table aussi prestigieuse au sein d’un hôtel emblématique comme le Trianon Palace représente pour lui un mélange subtil d’opportunités et de responsabilités. « Être un restaurant d’hôtel, c’est une grande chance mais aussi une immense responsabilité. Nous faisons partie d’une expérience globale : certains clients séjournent ici précisément pour découvrir notre cuisine », explique-t-il. Ce rôle dépasse l’assiette : Gabriele considère son travail comme une contribution à une expérience mémorable, où gastronomie et hospitalité se répondent. 

Contrairement à d’autres restaurants intégrés aux hôtels, le Gordon Ramsay au Trianon jouit d’une certaine autonomie. « Je me consacre entièrement au restaurant étoilé. Tout mon temps et mon énergie vont dans la recherche d’une expérience gastronomique exceptionnelle. L’équipe de l’hôtel gère les autres instants de consommation, ce qui me permet de rester concentré sur ma vision », précise-t-il. Cet équilibre entre indépendance et appartenance au groupe Waldorf Astoria offre à Gabriele Ravasio une liberté créative rare. « Mon ADN culinaire est respecté, et je n’ai aucune limite imposée dans mes choix. C’est un privilège de pouvoir m’exprimer pleinement tout en bénéficiant du soutien d’un groupe de cette envergure. » 

La recherche et le maintien de l’étoile Michelin ajoutent une dimension supplémentaire à son rôle. « La quête d’excellence est une motivation naturelle. Elle fait partie de notre ADN, tout comme le soutien constant du groupe. Être parmi les 30 ‘top restaurants and bars destinations’ en Europe, Moyen-Orient et Afrique nous donne une visibilité internationale précieuse », confie-t-il. Mais cette excellence n’est pas sans défis : « Être un restaurant étoilé dans un hôtel implique de répondre à des attentes élevées. Il faut trouver un équilibre entre offrir une signature forte et rester cohérent avec l’esprit du lieu. » 

Conclusion : Gastronomie et hôtellerie, un duo gagnant ? 

La montée en puissance des restaurants au sein des hôtels, comme La Table du Ventoux, Âme et Gordon Ramsay au Trianon, illustre les nouveaux défis et opportunités de la restauration en milieu hôtelier. Ces tables ne sont plus seulement des annexes des établissements : elles participent activement à leur rayonnement et à leur attractivité.  

Chaque format incarne une approche spécifique : La Table du Ventoux prolonge l’expérience client en restant fidèle à l’identité locale du Crillon le Brave, Âme bouscule les codes pour différencier les Chalets du Mont d’Arbois dans une station ultra-concurrentielle comme Megève, tandis que le Gordon Ramsay au Trianon s’impose comme une destination gastronomique autonome, attirant une clientèle qui se déplace parfois uniquement pour sa renommée. 

Ces exemples montrent que les groupes hôteliers ont tout intérêt à investir dans leurs restaurants. Faire appel à des chefs reconnus ou audacieux permet d’insuffler une dynamique nouvelle, qu’il s’agisse de formats éphémères comme Âme, ou de propositions plus pérennes et étoilées comme au Trianon Palace. En misant sur des concepts différenciants, ces tables peuvent devenir de véritables leviers pour l’hôtel, tout en profitant de la synergie que celui-ci apporte en termes de logistique, d’hospitalité et de visibilité. Un restaurant attractif attire une clientèle nouvelle qui, parfois, découvre l’hôtel par ce biais, créant une double porte d’entrée bénéfique pour les deux entités. Cette dynamique est d’autant plus importante pour les hôtels situés dans des zones reculées ou atypiques, où la gastronomie peut devenir un moteur d’attractivité et un point de démarcation face à la concurrence. 

Le point commun entre ces réussites réside dans la collaboration et la vision partagée entre les chefs et les groupes hôteliers. L’équilibre est subtil : il faut offrir une autonomie créative au chef tout en assurant une cohérence avec l’identité et les attentes de l’établissement. La confiance mutuelle est ainsi essentielle pour que chaque acteur puisse exceller dans son domaine.  

Alice Polack