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Marseille, un désert en colère

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Les bars et restaurants sont de nouveau fermés jusqu’au 11 octobre à Marseille et Aix-en-Provence, en zone d’alerte maximale, au grand désespoir des restaurateurs. Ambiance.

Ils avaient « gagné » un jour : les manifestations et l’effervescente polémique ayant suivi la déclaration du ministre de la Santé Olivier Véran, jeudi 25 septembre, avaient repoussé la fermeture des bars et restaurants de Marseille et d’Aix-en-Provence au dimanche 28 septembre au soir. En ce dernier jour de la semaine, 22 heures approchent et La Mercerie est à moitié vide. « Normalement, c’est plein à craquer », glisse la serveuse. Les clients présents en profitent : quelques (bons) produits se sont ajoutés au menu en cinq temps proposé par le chef Harry Cummins. C’est qu’il faut bien écouler les stocks et vider les frigos. «Contrairement à d’autres restaurateurs, je les gère à flux tendu », témoigne Hugues Noël, tenancier de La Cave de Baille. « Mais le lendemain de l’annonce, je recevais 15 kilos de fromages et une tonne de charcuteries de l’Aubrac, prévus pour les évènements des prochaines semaines. J’étais bien heureux d’apprendre qu’une amie célèbre samedi prochain les 50 ans de son conjoint. Elle m’a tout pris ! »

Tous n’ont pas eu la même chance, si bien qu’il n’était pas rare de croiser dimanche, sur les coups de minuit, des petites mains en cuisine désormais en chômage partiel ou en congés payés forcés, un gastro sur les bras ; ces bacs remplis de victuailles, où s’entassaient demi-meule de parmesan, pâtes fraîches, Tupperware de tiramisu, légumes à profusion.

« Clivage Paris Marseille »

Lundi matin, Marseille était comme vide, un contraste saisissant avec l’effusion vécue durant l’été. Dans le charmant et authentique quartier du Panier, quelques passants déambulent. Le restaurant Au Vieux Panier est ouvert. Un café ? Le patron sort au même moment. « Je suis désolé, ce n’est pas possible. Il faut voir avec Paris », dit-il, dépité, pendant qu’il efface au chiffon le menu inscrit sur l’ardoise.

Ses propos font écho à ceux de Fabien Le Berre, de Massilia Wine System. « Le clivage Paris Marseille ressort. On a l’impression que l’on fait payer à la ville la position de (Didier) Raoult et le soutien de la population au professeur, sans parler de la mairie qui vient de passer à gauche. Je ressens du désappointement car la rentrée s’annonçait fructueuse. Cependant, je n’ai reçu à ce jour aucune annulation de commande. La majorité des gens ne veulent pas croire que la situation va s’éterniser au-delà du 9 octobre. » Au lendemain de l’annonce choc, vendredi 25 septembre, l’adjointe à la maire Samia Ghali avait indiqué que la police municipale ne verbaliserait pas les contrevenants. Sur le Vieux-Port, gagné en quelques pas depuis le Panier, une litanie de cafés et restaurants s’aligne, rideaux fermés, chaises amoncelées les unes sur les autres. Au détour d’une ruelle, une dame mange sur un coin de table, à Macantine. Une enseigne récalcitrante ? C’est la patronne, en fait. « Je suis ouverte, oui, mais seulement à emporter », tout comme les rares enseignes ouvertes dans la ville. Un smoothie frais et réconfortant alors, pour tromper la morosité ambiante, même si le soleil pointe et réchauffe les cœurs. « Il y a eu un peu de passage, ce matin, mais c’est loin d’être la folie. Je pense que ça freine les gens », dit-elle.

Julien Diaz : « Si on recule à chaque fois qu’on a peur, on ne fait plus rien »

Il y a bien Julien Diaz, chef de l’excellent Saisons. Lundi midi, il était ouvert et affichait complet. « Je n’ouvre pas par rébellion mais par incompréhension. En cinq minutes, vous pouvez aller manger à La Valentine, ou un peu plus loin à Cassis. Le virus s’arrête-t-il à la sortie de Marseille ? Il ne faut pas se laisser faire face à cette incohérence ! » s’insurge-t-il. « J’étais présent vendredi à la manifestation. On nous a dit qu’il fallait être solidaires, unis et rester ouverts. On doit être dix à tout casser à l’avoir fait », regrette-t-il. Le Collins était ouvert, près du Vieux-Port, mais ce sont les CRS qui sont venus l’intimer à fermer vers midi. « Il y aura des verbalisations à partir d'aujourd'hui si ces mesures ne sont pas respectées », avait prévenu dans la matinée Christophe Mirmand, préfet des Bouches-du-Rhône.

Car le taux d’occupation des lits de réanimation par des patients Covid dans les établissements de santé de Marseille et d’Aix-en-Provence atteignait 39% (seuil d’alerte maximal : 30%) lundi. Au même moment, 200 restaurateurs et fournisseurs se rassemblaient à l'entrée du tunnel Prado-Carénage, pour protester contre les mesures décidées par le gouvernement. Vingt professionnels de la restauration de Marseille et d’Aix-en-Provence, les représentants locaux du monde économique et du secteur, ainsi que la région PACA, le département des Bouches-du-Rhône, la métropole Aix-Marseille-Provence et la ville d’Aix-en-Provence ont déposé un recours contre ses mesures, qui sera étudié ce mardi à 15 heures et la décision devrait être connue en fin de semaine.

Des fournisseurs étaient présents car ils sont en difficulté, aussi. C’est le cas de Jean-Baptiste Anfosso, patron d’Organic Yoda, qui fournit notamment Alexandre Mazzia, La Mercerie et Les 3 Coups. Que faire de ses légumes qui « avancent et murissent vite » ? « Sans visibilité à long terme, j’ai décidé de me rapprocher de ma banque pour contracter le prêt garanti de l’Etat. » Il résume l’état d’esprit du secteur d’activité : « Toujours nous punir est injuste : les bars et les restaurants ne sont pas les seuls lieux de rencontres et de rassemblement. La pandémie cause des dégâts sanitaires, mais sa gestion cause aussi des dégâts économiques et psychologiques. » Emmanuel Lafaye est producteur d’agneau. Il ne cache pas son désarroi et sa lassitude. « Je n’ai aucune visibilité sur le marché professionnel », s’inquiète celui qui a perdu 50% de son chiffre d’affaires depuis mars. Il élève ses agneaux de dix mois en plein air, dans le Queyras (Hautes-Alpes), à 2 500 m d’altitude. « Je suis un paysan et je ne sais pas m’y prendre pour démarcher les professionnels. Oui, j’aurais bien besoin d’un coup de pouce. Je diviserais peut-être le troupeau par trois à la fin de l’année. Il reste plein de questions sans réponse. »

Julien Diaz décidé de se montrer combatif. Il sait qu’il risque une amende. Il la paiera et fermera son restaurant, le cas échéant. « Si on recule à chaque fois qu’on a peur, on ne fait plus rien », justifie-t-il.

Par Caroline Loiseleux et Quentin Guillon 
Photo : Restaurant Saisons
 

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