Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility « J'attends des candidats d'être en phase avec le dynamisme de la cuisine française » | Sirha Food
Anne-Sophie Pic :

« J'attends des candidats d'être en phase avec le dynamisme de la cuisine française »

Le 20 juillet 2023

La cheffe valentinoise triplement étoilée sera la présidente d'honneur du Bocuse d’Or France 2023, le 8 septembre prochain au Grand Palais Ephémère, à Paris. Échange autour de ce qui fait battre le pouls de sa créativité. 

La cheffe valentinoise triplement étoilée sera la présidente d'honneur du Bocuse d’Or France 2023, le 8 septembre prochain au Grand Palais Ephémère, à Paris. Échange autour de ce qui fait battre le pouls de sa créativité. 

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Une présidence d’honneur au Bocuse d’Or France 2023, sous quel angle abordez-vous cette position ?

La cuisine française est en évolution et dans un concours qui est un mélange de technique et de précision, elle se doit d’être en phase avec les préoccupations du moment dans les restaurants. Évidemment, la saisonnalité doit être présente, elle ne doit jamais être délaissée au profit de la technique. Il faut que tous les chefs soient en adéquation avec les moments que nous vivons : qu'ils mettent en exergue le végétal autrement que par les garnitures, notamment. J’attends une capacité à suivre les préoccupations actuelles et que les candidats soient en phase avec le dynamisme de la cuisine française. 

La technique n’est pas plus importante QUE le goût. Votre cuisine est un mélange entre gestes précis, rigueur créative, au service du produit que vous estimez parfait. Comment entretenez-vous votre inspiration chaque jour et qu’attendez-vous de vos équipes ?

Je pense depuis 3 ans à lancer la fermentation dans ma cuisine comme un potentiel de trame aromatique infini, cela attise également la curiosité des équipes. Certains ont été amenés à l'approcher et je souhaitais, à Valence, explorer la fermentation de manière plus posée et pragmatique. Hugo Chaise, que connaît notamment Naïs Pirollet, a été chargé de former les équipes dans un premier temps, puis, nous avons créé un poste de chef de projet fermentation. Nous avons aussi souhaité façonner un lieu entièrement dédié à la R&D. Il est nécessaire de se donner les outils pour aller au-devant d’une technique, se l’approprier et surtout repousser les limites des connaissances. Les miennes, ainsi que celles des équipes. Une maison reste performante si elle continue d’acquérir de nouvelles connaissances. Il faut s’octroyer des outils pour s’améliorer, rectifier ce qui ne va pas, et cela va de pair avec l’exigence que je mets dans certains domaines. Il faut également écouter les équipes, connaître les territoires qu’elles souhaitent explorer, proposer des thématiques… Pour tout cela, de l’organisation est nécessaire. L’agenda est aménagé pour pouvoir être inspiré, il faut donc respirer, sortir de la maison. Rencontrer un producteur, aller au plus près de la connaissance et entretenir ces respirations. Nous sommes dans un partage de connaissances, mais toujours à l’écoute des équipes pour performer. 

Le dessin, la mode, la peinture aussi, ont toujours habité votre vision du beau, de la finesse. Quels sont les courants culturels qui vous animent actuellement, des artistes, des musiques, qui croisent votre vision ?

Comme en cuisine, je suis mes aspirations culturelles comme des repères. Je suis totalement passée à côté de la musique classique, je n’y suis pas allée, un regret, peut-être (rires). Je préfère être accompagnée par des Michel Berger ou Daniel Balavoine, Depeche Mode, la pop anglaise, qui m’ont aidé à m’échapper, à rêver… Mon fils de 18 ans m’aide à suivre ce qui se fait et rien ne m’ennuie ! La musique est une forme d’entraînement, de dynamique, de rêverie dont on a besoin en cuisine. J’ai baigné dans un milieu d’artistes que mon père côtoyait, je pense au théâtre, avec Jean Piat notamment… À l’époque, il y avait un vrai rapport entre les artistes et la cuisine : ils prenaient la voiture, faisaient une halte dans un restaurant comme celui de mon père et y finissaient tard. Petite, j’avais la chance d’assister chaque été à des présentations de collections, notamment celles de Bernard Cathelin, élève de Matisse. Mais le parfum reste au centre. Cela a toujours été très inspirant, et je partage cette passion avec mon ami Francis Kurkdjian que j’aime emmener dans mes pérégrinations. Je suis pour la fertilisation des univers croisés.

Dans un entretien, vous aviez évoqué le manque de curiosité de certains hommes à l’égard de la cuisine des cheffes. Considérez-vous que ce manque d’intérêt pour les femmes qui œuvrent au restaurant est derrière nous ?

Oui, je le pense sincèrement. Beaucoup de femmes travaillent en cuisine aujourd’hui et elles créent, suscitent l’intérêt. Les hommes sont curieux de connaître cette cuisine, de croiser leur chemin et d’échanger avec elles. J’en ai souffert, il est vrai, mais certains chefs ont fait la démarche de me rassurer par rapport à cela.  Les choses évoluent nécessairement, elles évoluent car on s’aperçoit que cette richesse est inspirante. Je crois que cela change, surtout pour les femmes qui sont de plus en plus reconnues. En tout cas, il y a beaucoup de chemin parcouru.


Propos recueillis par Hannah Benayoun
© Anne-Emmanuelle Thion