Paul Charlent : « nos fermes rendent service à la population »
Paul Charlent, centralien et ancien élève de Berkeley a créé en 2016, Alancienne une plateforme de ventes de produits frais destinée à mieux rétribuer les producteurs locaux.
Paul Charlent, centralien et ancien élève de Berkeley a créé en 2016, Alancienne une plateforme de ventes de produits frais destinée à mieux rétribuer les producteurs locaux.
Bien manger demeure une problématique majeure. Payer avec justesse et justice celles et ceux qui se chargent de nous nourrir, un enjeu de société au global. Pour Paul Charlent, cela revient à évoquer l'importance de la rétribution des producteurs locaux et des agriculteurs. Depuis des années, ces derniers peuvent gagner jusqu'à 350 euros nets par mois, une somme éminemment dérisoire au vu des tâches immenses que sont l'élevage, les récoltes, les productions maraîchères... Obnubilé par le désir de changer à son échelle un système qui peine à bouger, il a créé Alancienne, une plateforme marchande de produits frais acheminés le matin, livrés le soir, garantissant une hyper fraîcheur et la subsistance réelle de celles et ceux qui les produisent. Grâce à Alancienne, il mène un combat contre les produits transformés, convaincu que l'alternative est bien là, sous nos yeux et qu'il convient de s'en saisir rapidement. Morceaux choisis.
A quand remonte cette réflexion autour des revenus des producteurs ?
Je suis quelqu'un qui a toujours été passionné de cuisine, donc, de bons produits. Je me suis rapproché naturellement des petits producteurs locaux. C'est en les côtoyant que je réalisais peu à peu qu'ils ne gagnaient pas leur vie. En France, aujourd'hui, plus d'un tiers des producteurs qui gagnent 350 euros nets par mois. Ce qui est terrible dans un pays où l'on peut toucher un SMIC ou le RSA. On parle des gens qui nous nourrissent, peut être les métiers les plus nobles. J'ai voulu comprendre le pourquoi du comment, à quel moment nous en sommes arrivés là. J'ai fait des études, comprendre notre monde, notre société : d'abord ingénierie à Centrale et je suis parti à Berkeley aux Etats-Unis. J'ai compris que l'alimentation était au centre de toute société, toute civilisation. Du capitalisme, de la finance de haut vol, elle nous réunit tous. J'ai compris que le circuit-court était la solution et nous avons lancé en 2016 Alancienne pour livrer des produits frais direct producteurs engagés aux clients.
Comment fonctionne Alancienne ? 🎧⬇️
La souveraineté alimentaire est longuement évoquée actuellement, les crises multiples arbitrent et impactent les décisions prises. Est-ce que vos producteurs accusent divers coups, et coûts ? Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?
C'est l'avantage pour nous de favoriser l'agroécologie, nous sommes évidemment beaucoup moins dépendant des énergies fossiles et des intrants. Nous avons des paysans moutardiers dans l'Oise, par exemple ! Aucun de nos producteurs n'utilise d'engrais azotés, pas de produits phytosanitaires, aucune dépendance à la pétrochimie, etc... Notre seule petite dépendance serait sur le papier, la verrerie, on est encore dépendants. On réfléchit à la consigne... Nos prix vont forcément augmenter un petit peu mais comparativement aux produits conventionnels achetés en supermarché, cela reste dérisoire de notre côté.
La démarche sociale autour de l'agroforesterie, des fermes est forte, mais est-ce qu'il y a aussi derrière cela une rééducation autour du goût ?
On communique beaucoup, on explique via une chaîne Youtube qu'est-ce que l'agroforesterie, comment cuisiner un topinambour, on essaie de faire de la pédagogie, on reste proche de l'Ecole Comestible fondée par Camille Labro et qui fait un très beau travail. Je fais partie de la communauté Ecotable qui aide les restaurateurs à mieux se sourcer, je suis intervenant chez Hectar qui accompagne les jeunes agriculteurs et celles et ceux qui souhaitent se lancer ou futurs porteurs de projets, et nous avons co-produit le documentaire On a 20 ans pour changer le monde (Hélène Médigue, 2017). Ce que l'on essaie de dire c'est goûtez, goûtez, mangez, ce sera difficile par la suite de retourner en supermarché...
En tant qu'entrepreneur, quelle piste, quelle clef pour devenir un peu plus souverain concernant notre alimentation ?
Probablement de continuer ce que l'on fait depuis six ans, car ça fonctionne. Notre système de distribution fonctionne, nous travaillons avec 200 producteurs, nous couvrons trois villes, Bordeaux, Paris, Lyon et également la banlieue parisienne, bordelaise, lyonnaise, nous avons une ferme en agroécologie, nous rémunérons nos agriculteurs 2600 euros net par mois. Notre ferme permet de voir un sol qui s'améliore, une biodiversité qui s'améliore, on plante des arbres, nous produisons nos propres semences et nous sommes autonomes en eau. C'est facile, c'est juste bon, on redécouvre le goût des produits. L'alternative fonctionne, les gens doivent venir, essayer, approcher l'alternative car elle est là. En suivant cela, on crée la demande, l'offre va suivre car c'est toujours pareil on reste dans un cycle. Si demain, on cesse d'aller au supermarché il n'y aura plus de supermarché. C'est aussi simple que ça. Si on prouve que cela marche, les autres s'y mettront c'est certain.
Entretien : Hannah Benayoun
Photos : Bruno Lamy et Ferme Envol ©A.MAGNAN-AIRBORNE_FILMS