Colombie : l’autre feuille de coca
Mara Izquierdo appartient à la communauté Arhuacos établie dans la Sierra Nevada de Santa Marta. Associée à l’équipe du Bocuse d’Or Colombie, elle lutte pour réhabiliter la feuille de coca, toujours autant associée au narcotrafic.
Mara Izquierdo appartient à la communauté Arhuacos établie dans la Sierra Nevada de Santa Marta. Associée à l’équipe du Bocuse d’Or Colombie, elle lutte pour réhabiliter la feuille de coca, toujours autant associée au narcotrafic.
En 2021, l’équipe colombienne du Bocuse d’Or remporte le Bocuse d’Or Social Commitment Award, qui récompense un engagement fort pour un pays. En l’occurrence, le programme Coca no Cocaina, qui tend à rétablir cet ingrédient majeur de la Colombie en luttant également contre les dégâts causés par les narcotrafiquants est celui qui avait retenu toute l’attention des remettants. Maria est la fille d’un des guides spirituelles de la communauté à laquelle elle appartient.
La communauté Arhuacos, composée de 25 000 personnes, s’est établie dans le massif montagneux de la cordillère des Andes, tout au nord du pays. Ils entretiennent un rapport extrêmement fort avec la nature et la terre qu’ils occupent, et se sont donnés comme mission de protéger toutes les ressources. Le narcotrafic, toujours autant présent en Colombie entache également indirectement les actions pacifistes de la communauté dans la région. Maraa Izquierdo, éminemment investie dans ce programme, a reçu 7000 euros de la part de l’équipe, ce qui lui permet de financer les frais d’études de l’UWC en Tanzanie, (L’United World College) et consolider ses engagements dans un projet futur. Morceaux choisis.
En deux mots, qu’est-ce que le programme Coca no Cocaina ?
C’est un projet qui vise à changer la perception que les gens ont de notre pays, de nos communautés. Tout le monde voit la Colombie comme le pays du narcotrafic et les gens aiment en rire. Ce nouveau projet qui passe surtout par une utilisation de la feuille de coca en cuisine doit pouvoir changer cette image.
Pourquoi vous être impliquée dans le projet ?
Mon implication date d'il y a deux ans. Ma communauté a des liens très forts avec la coca en tant que plante ; nous avons une connexion spirituelle avec elle, une relation forte : elle est vivante, c’est un être à part entière et il est important que l’on puisse continuer à la faire vivre dans notre culture mais à notre façon, plus traditionnelle. Lorsque l’équipe nous a approchés pour présenter ce projet, nous avons apprécié le fait qu’ils souhaitaient modifier la perception que le monde a de cette plante à cause du narcotrafic.
Quelles applications ont trouvé les feuilles et la farine de coca en cuisine ?
L’intérêt est que nous l’avons adapté à divers styles de cuisines, toutes sortes de recettes. La Colombie est diverse et c’était important de montrer qu’on pouvait utiliser la coca pour tout le monde, tous les styles, tous les goûts, pas seulement pour un seul groupe communautaire. Glace, pâtes, soupes, cookies… Cela permet de faire grandir l’utilisation de la plante à toute la société. Aujourd’hui, c’est aussi une vraie tendance dans les restaurants du pays, du plus simple au plus gastronomique. La cuisine fait partie de notre culture. C’est vraiment ancré dans notre société. J’aime particulièrement cuisiner le zounu, un plat qui combine du riz et des haricots ; mais on ne met pas de sel. On utilise cette recette aussi durant diverses cérémonies.
Grâce au programme, sentez-vous que le regard porté sur la feuille de coca change ?
C’est très difficile de changer des choses qui sont fortement ancrées dans notre histoire. Tout le monde a ce sentiment mais ce n’est pas impossible. Et je commence vraiment à voir des changements. Par exemple, j’ai eu l’occasion de parler avec une amie d’une autre communauté indigène où la situation est vraiment mauvaise et qui pensait qu’il serait intéressant de commencer à travailler sur des actions similaires. Plusieurs communautés commencent à rejoindre le mouvement et cela me rend heureuse que l’on ait lancé une sorte de modèle.
La cuisine, cette plante, la spiritualité, tout est lié ?
Oui et nous avons tout un rituel. La coca est surtout consommée par les hommes mais les femmes jouent un rôle primordial et ont ainsi, une sorte de pouvoir. La femme a un pouvoir spirituel du fait qu’elle est chargée de ramasser, de sélectionner l’aillo (les feuilles de coca) et de participer aux préparatifs des cérémonies. Durant le rituel appelé Mambeo, on utilise un objet : le poporo. Il symbolise l’équilibre des opposés. La partie gonflée représente la femme, la Pacha Mama, la déesse Terre, alors que le cou symbolise l’homme. Une tige métallique sert à extraire une poudre de chaux qui est mastiquée avec les feuilles de coca et symbolise la réunion du ciel et de la terre qui donne la vie. Nous considérons que l’homme a une vie équilibrée grâce à l’accord entre le féminin et le masculin, ainsi que la famille.
Propos recueillis par Catherine Guérin
Photos : Giselle Cucunaba Manes et Julien Bouvier
Edition article : Sirha Food
Que représente pour vous le fait que la Colombie ait remporté ce prix ?
« C'est une aide à titre personnel mais aussi pour ma communauté. J'étudie en Tanzanie, c'est coûteux. Ma philosophie demeure que lorsque l'on reçoit une aide, on se doit de rendre en retour. Il y a différentes façons de le faire. Aider les gens. Ce prix m'a permis d'étudier au United World College. J'ai la responsabilité de travailler plus, d'étudier mieux. Je dois apprendre des choses qui me permettront d'aider ma communauté, ma région, mon pays. Et pourquoi pas aussi, au-delà de ses frontières. »