Pourrons-nous encore manger du poisson dans quelques décennies? La journée internationale des océans, comme chaque année le 8 juin, est l’occasion de revenir sur cette question brûlante.
Entre 1950 et 2018, la production mondiale annuelle de poisson a été multipliée quasiment par 10. On l’estime aujourd’hui à environ 179 millions de tonnes pour une valeur à la première vente de 401 milliards de dollars. Nous mangeons trois fois plus de poisson que nos grands-parents et cela a des conséquences sur l’état de la faune marine. D’après les estimations de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), la part des stocks de poisson exploitée à un niveau biologiquement durable est passée de 90% en 1974 à 65,8% en 2017, tandis que la part exploitée à un niveau non durable est aujourd’hui de 34,2% contre 10% en 1974. En clair, plus d’un tiers de la pêche mondiale met en danger le renouvellement des espèces et la pérennité des ressources halieutiques.
Depuis le milieu des années 90, des plans de sauvetage ont été mis en place, notamment par la FAO et par les Nations Unies qui font ainsi figurer la préservation des océans au cœur de leurs objectifs de développement durable (ODD). Ces actions ont eu des résultats très contrastés. En France – quatrième producteur de poisson dans l’UE et sixième plus gros importateur à l’échelle mondiale – 60% des poissons et fruits de mer pêchés proviennent désormais de stocks biologiquement durables. C’est ce que révèle le récent rapport de l’IFREMER qui note une nette amélioration par rapport à 2019, où la part de prises durables était de 49%. De quoi se réjouir – un peu – même si 21% des prises continuent de provenir de stocks en danger d’extinction.
Les déséquilibres entre les pays développés, qui mettent en place des politiques de contrôle, et les pays en voie de développement, où les infrastructures ne permettent pas toujours de répondre aux critères de durabilité, expliquent les mauvais chiffres internationaux. Mais il ne faut pas pour autant jeter la pierre aux « petits ». La production de poisson des plus grands pays pêcheurs est massivement exportée vers les pays occidentaux et l’Amérique du Nord. Une forme de délocalisation de la surpêche qui confirme l’importance du développement d’une pêche locale responsable. Les Nations Unies ont d’ailleurs officiellement décrété 2022 Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales.
Ce souci de préservation du patrimoine biologique marin est présent chez de nombreux chefs pour qui les produits de la mer sont un vivier créatif indispensable. À Bruges, en Belgique, Filip Claeys a été l’un des premiers à comprendre l’importance d’actions coordonnées. En 2013, il a lancé l’initiative North Sea Chefs, qui regroupe aujourd’hui une bonne cinquantaine de cuisiniers en Belgique et aux Pays-Bas. Le principe : travailler les poissons effectivement capturés par les pêcheurs, particulièrement les espèces les moins nobles habituellement délaissées, et ne plus utiliser les espèces en danger. Lorsque Claeys a mis à la carte de son restaurant deux étoiles des poissons comme la roussette ou l’orphie, en lieu et place du turbot et de la sole, il a perdu 40% de sa clientèle. Mais ses convictions ont fini par payer et son Jonkman affiche à nouveau complet, avec à son menu les poissons de l’espoir.
Peyo Lissarrague