Six artistes inspirent six chefs. C’est l’Œuvre au corps, un projet qui les réunit jusqu'au 18 juin, de Paris à Bruxelles. Parmi eux, la cheffe de Yam’Tcha et l’artiste Valérie Novello.
Six artistes inspirent six chefs. C’est le frontispice aussi alléchant qu’intrigant de l’Œuvre au corps, un projet qui réunit du 19 mai au 18 juin, de Paris à Bruxelles, Alain Passard, Christophe Hardiquest, Karen Torosyan, Nicolas Decloedt, Bruno Verjus et Adeline Grattard, en duo avec des plasticiens contemporains. Rencontre avec la cheffe de Yam’Tcha et sa comparse, l’artiste Valérie Novello.
Dialogue inédit entre art et cuisine
Des tableaux et des sculptures viennent séjourner un mois dans les salles des restaurants. La galerie en expose d’autres et des plats, inspirés des œuvres, sont servis au vernissage. La plastique de l’un résonne dans l’assiette de l’autre. La construction d’une bouchée répond à la forme d’un dessin. Une courbe devient une saveur, un goût se transforme en trait. Au travers de cette Œuvre au corps, imaginée par le studio de création Alexandra Swenden et la galerie La Forest Divonne, six duos chef/artiste se sont découverts, ont partagé leurs univers et ont inventé un dialogue inédit entre art et cuisine, sans esbroufe et sans urgence.
« Quand Alexandra m’a contactée, je n’ai pas tout de suite été partante. Je ne me sentais pas légitime pour parler d’art. Je craignais de ne pas pouvoir alimenter le discours avec l’artiste. Et puis Valérie est venue au restaurant, on a discuté, elle m’a présenté son travail et j’ai été touchée par sa vision, par les textures qu’elle crée et par sa quête de perfection ». Trois jours après le vernissage parisien, durant lequel elle a servi notamment ses célèbres couilles de loup délicatement posées sur des supports en papier signés Valérie Novello, Adeline Grattard évoque avec une grande émotion sa rencontre avec l’artiste franco-italienne. « Elle a habillé le restaurant de ses œuvres, elle est ainsi présente tous les jours sans être là. Cela m’apporte une sorte de chaleur réconfortante après ma grossesse (NDLR : la cheffe est mère d’une quatrième enfant depuis le printemps). Je me surprends à prendre le temps de regarder longuement ses tableaux, à me laisser toucher par les reflets, les structures, les reliefs. »
« Il s’est passé quelque chose d’exceptionnel entre nous, quelque chose d’éminemment humain », prolonge Valérie Novello.
« Une rencontre, mais au-delà de cela la découverte d’une proximité entre nos univers et entre nos façons d’être. Nous sommes deux femmes sans posture. Nous sommes avant tout des travailleuses acharnées, intuitives et attachées à l’expérimentation. J’ai besoin de beaucoup de concentration, voire de repli, pour créer. Dans ces périodes-là je suis comme une ourse dans sa caverne, isolée pour mieux me plonger dans la création et exprimer ma relation au monde sans m’inscrire dans l’air du temps. Adeline aborde sa cuisine de la même façon, et elle tisse les mêmes liens à la nature et à la mémoire que ceux qui sous-tendent mes œuvres. L’art de la table est périssable mais il est aussi intimement lié à la mémoire, aux souvenirs gustatifs de l’enfance autant qu’à ceux des grands repas qu’on a pu faire. »
Adeline tisse les mêmes liens à la nature et à la mémoire
que ceux qui sous-tendent mes œuvres. »
Valerie Novello
Le rapport à la nature rapproche également les deux créatrices. La cueillette, partie intégrante du travail de Valérie Novello, dont les livres se transforment en herbiers de fortune pour accueillir feuilles et herbes séchées, font écho aux subtiles ponctuations végétales de la cuisine d’Adeline Grattard.
L’enfouissement et la dissimulation sont un autre point commun de leur approche. D’un côté le mystère des baos et des raviolis, dont on ne découvre l’intégralité des saveurs qu’au fil des bouchées, et de l’autre le mystère d’un paysage en pastel – réalisé par Novello spécialement pour Yam’Tcha – qui se révèle par strates au fur et à mesure qu’on l’observe. Un passage de l’inconnu au familier, de l’indicible au sensible, que ces deux grandes âmes nous servent sur un plateau sans jamais donner l’impression d’en avoir forcé la nature.
Peyo Lissarrague