Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Le nouveau restaurant : théâtre d'une création plus organique | Sirha Food

Le nouveau restaurant : théâtre d'une création plus organique

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Par Céline Cabourg

Visions est une série d’articles prospectifs - créée par Première Vision, salon mondial autour de la création dans la mode dans le groupe GL events - pour réfléchir au monde de demain, ses contours, ses modèles, ses enjeux. Le but ? Tâcher de répondre à différentes questions : Comment peut-on, aujourd’hui, commencer à entrevoir demain ? À quels grands courants ou signaux faibles être attentifs, pour percevoir et anticiper les modèles à venir, les nouvelles manières de vivre, de créer, de produire, de consommer ?  
Parce que le monde de la mode rencontre logiquement celui de la food !

La gastronomie a été le théâtre d'une vraie révolution sociétale qui s'est diffusée dans tous les domaines de la création : mode, cosmétique, accessoires. Cette reconnexion à la terre, à la matière, au sain est une tendance de fond qui va marquer encore les prochaines décennies.  

 

Ex-journaliste radio passé chez Gault et Millau, Luc Dubanchet, créateur de Sirha Omnivore en 2003, est aujourd’hui Directeur Général de Sirha Food chez GL events. C'est en se plaçant à l'échelle du restaurant comme unité de lieu qu'il suggère de penser l'évolution de la cuisine ces dernières années. Un restaurant qui comme la boutique ou la galerie est un lieu de sociabilité et de commerce. 

La fin d'un paradoxe

De la coupure avec la terre... 

Luc Dubanchet identifie un changement structurel au milieu du vingtième siècle. "À partir de 1945, l'essor de la restauration et de la communication autour des chefs, le développement de ce que l'on appelle aujourd'hui la Food, se place dans le même espace-temps que le processus de désagriculturation paysanne, argumente-t-il. Plus on va vers un restaurant bourgeois avec une valorisation du produit dans le discours, plus on évolue vers une automation de la production et une baisse de la qualité des produits agricoles". C'est donc sur ce paradoxe que s'est fondé le restaurant bourgeois et la nouvelle cuisine des années 1970 réinventée par Henri Gault, Christian Millau et les pères de la cuisine moderne que sont des chefs comme Michel Guérard, les Frères Troisgros, Alain Senderens ou Paul Bocuse. C'est dans cette même période de l'après-guerre que l'on a développé les substances chimiques dans l'agriculture, éliminant les parasites et les bactéries, dans le but d'augmenter les rendements. 

....à la reconnexion 

Le sursaut à cet éloignement, il le fait remonter au début des années 2000 après les premières crises sanitaires de la vache folle : 

Une nouvelle génération d'acteurs de la cuisine et de mangeurs ont voulu réconcilier le restaurant et la production agricole. Auparavant et pendant près de 40 ans, on avait d’une certaine manière nié la relation directe entre la terre et l'assiette. 

Ce mouvement de réconciliation est évidemment amplifié par la crise climatique. On observe avec un décalage d'une vingtaine d'années, un glissement similaire dans le textile. Dans les années 1960, l'essor du prêt-à-porter conduit à étaler les chaînes de production hors du territoire national et l'augmentation des volumes pousse à délocaliser nombre d'étapes, en misant sur l'essor des fibres synthétiques et non plus sur les seules matières naturelles. L'après-Covid vient renforcer la prise de conscience des acteurs de la filière qu'il va falloir développer de nouvelles manières de (mieux) faire. 

Quel déclic explique ce point de bascule ?

"On est dans un renversement parce que la Food est devenue un objet culturel, décrypte Luc Dubanchet. Une nouvelle génération de mangeurs est venue s'émulsionner autour du fait culinaire, des chefs et ces derniers y ont entraîné leurs fournisseurs. C'est devenu un phénomène majeur et plus simplement une pratique de loisir. Manger est un acte fort, avec des signes et des signaux. Cela correspond à la mutation du restaurant qui a fini de se débarrasser de ses attributs statutaires bourgeois pour devenir des lieux publics, inter-générationnels et d'inter-connexions. » 

La révolution du manger : Une reconnexion globale portée par la génération des trentenaires 

Ce basculement dans l'univers culinaire emporte vraiment tout le secteur. On ne parle pas seulement de cuisine étoilée, mais d'un restaurant plus ouvert, plus abordable, accessible : bistrot, néobistrot, et même grignotage. Le "nouveau" restaurant concerne une masse plus importante, urbaine, comme rurale ou périurbaine et en son sein s'opère ce "recentrage cultural (au sens de la terre) et culturel". Derrière cette bascule, il y a la génération des trentenaires, les petits-enfants des baby-boomers, qui a porté ce mouvement. "Avec elle, le mangeur à table, le mangeur du restaurant au XXIe siècle a pris une position essentielle", que le Directeur Général de Sirha Food n'hésite pas à qualifier de "politique".   

La Food, locomotive des consciences et des comportements

La nourriture, pionnière en matière de vigilance 

Ce mangeur reconnecté avec la nature étend évidemment ses interrogations à l'ensemble des pans de son quotidien. Globalement, il s'interroge davantage sur les provenances, les matériaux, les conditions de fabrication. Pour expliquer le décalage dans la mode, Luc Dubanchet a une formule simple : "le vêtement, on le porte, la nourriture on l'ingère". Derrière la notion de bon, se posent plus naturellement les questions du sain, du respect de la chaîne du froid, et la capacité des aliments à faire du bien ou du mal. Grâce aux progrès de la recherche, on sait par ailleurs que la surconsommation des aliments transformés, ces conservateurs, et émulsifiants en E100… nuisent à la santé. Le rapport à l'assiette ouvre la voie à un questionnement plus global. 

L'apprentissage de la traçabilité 

On sait comment historiquement on en est arrivé là. Au début du XXe siècle, le local était la norme du fait notamment du développement limité du maillage de transports. Paris était entouré de maraîchage jusque dans les années 1960... Par la modernisation des techniques et la nécessité de nourrir la France, on est passé de polycultures à des monocultures et à une intensification des volumes. « Au niveau de l'unité de lieu restaurant, ce n'est que dans les années 2000 que les restaurateurs ont commencé à s'intéresser au profil des fournisseurs et non plus seulement des distributeurs, explique celui qui en faisait le tour pour Omnivore dans ces années-là. Dans le premier guide que nous avions créé en 2003, les restaurateurs devaient donner 3 ou 4 fournisseurs car j'avais réalisé qu'avant, ils ne les connaissaient pas. Les distributeurs eux-mêmes ont fait un travail énorme de connaissance des réseaux de production, de la traçabilité ». 

Une nouvelle approche de la création qui vaut dans la food comme dans la mode 

Le profil des acteurs des différents écosystèmes a lui aussi changé. Dans les années 2000, c'est une nouvelle génération de chefs qui a rendu possible la reconnexion avec la terre. 
"Pendant de nombreuses années, les génies créatifs étaient assez éloignés de la source. Cela vaut dans la cuisine comme dans la mode. On voulait le meilleur mais quel que soit parfois le coût de production, le coût carbone, humain, la quantité d'eau, de kilomètres. C'était un monde de créateurs capricieux ". 
En mode, comme en cuisine, un pays a pris conscience très tôt de la nécessité de préserver ce lien : l'Italie qui dans les années 80 lance le mouvement slow-food. Cela a permis de sauvegarder les structures agricoles en Italie et a innervé dans l'esprit des chefs et des restaurants. 

Et demain ?

Ne comptez pas sur Luc Dubanchet pour vous projeter à table en 2050 avec des insectes dans l'assiette ou de la nourriture de synthèse. Il ne croit pas à ce genre de dystopies. 

Une nouvelle hygiène de vie : le moins mais mieux 

L'idée globale du "moins mais mieux" est amenée à se développer encore dans le futur, selon lui, qui voit se développer sur les salons des propositions de plus en plus nombreuses et attractives. 

Moins de carné et plus de légumes, moins de carné mais mieux de carné, un choix plus éclairé sur la
traçabilité ; la quantité, la végétalisation du menu.

Si on regarde à l'échelle de la société, la place de plus en plus importante du sport dans nos quotidiens va tirer encore plus cette vigilance et ce désir de se faire du bien. 

Sport et forme 

"Il n'y a qu'à voir le nombre de personnes qui font du running, la place grandissante du trail, la demande en compléments alimentaires. Alors que les marques de sport ont pris le lead de l'innovation, du confort, de la technique, les sportifs du quotidien font de plus en plus attention à leur alimentation. La réappropriation du corps par le sport va de pair avec un nouveau régime alimentaire avec moins de graisse, de saturation, de sucre, de sodas et plus de végétal". 

La génération des 25-30 ans consomme moins d'alcool et les vendeurs de spiritueux en tiennent compte comme d'une tendance de fond. 
Cette nouvelle hygiène de vie fait naître de nouveaux produits. On le voit avec ces nouvelles boissons sans alcool qui se développent au niveau mondial. "Cela ne signifie pas qu'on arrête de boire du vin ou d'aller au restaurant, souligne Luc Dubanchet, mais on fait des choix différents. Né en Italie et en France, le vin nature avec réduction des intrants chamboule le paysage de la viticulture française. Le mangeur des années 1960 le lendemain ne faisait pas de la compétition sportive".  
Et l'IA dans le futur ? En allégeant le travail quotidien aux champs, en permettant une meilleure gestion des exploitations et des rendements, l'influence de l'IA va croître. Elle va permettre de réduire la pénibilité de certaines tâches et d'être plus sensibles dans le prédictif sur la préservation des sols, l'analyse de la vie bactérienne, des PH des sols. 

La matière : nouvel indice du beau

Plus globalement, on assiste à une vraie révolution des critères du beau. 
"Le brut est devenu beau, le relief, l'épaisseur sont esthétiques". 
Dans l'industrie textile aussi, on retrouve cette main, cette densité, ces aspérités dans les matériaux naturels comme le chanvre, le lin, la laine. "On est passé d'une ère dans les années 2000 où tout se broyait, était liquide, où les aliments étaient comme des flaques, à des assiettes plus composites, architecturées, dans lesquelles les aliments deviennent des paysages que l'on peut photographier". 

La révolution du retour à la terre représente un mouvement si structurel, qu'il va plutôt se renforcer en s'affinant sur au moins les 30 prochaines années. Car le changement est massif et inclut une nouvelle approche des sols, une nouvelle manière de produire, de distribuer. D'autant qu'il y a toujours des vents contraires comme viennent le rappeler guerres et inflation, qui mettent de côté pendant un laps de temps le fait environnemental. 

"Avant d'ouvrir de nouvelles fenêtres, il faut poursuivre ce recentrage sur le comment, le pourquoi, la reconnexion. Cela prend au moins deux générations". 

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