Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility « Ce soir, je ne vais pas au restaurant, je vais chez le chef » | Sirha Food
Alexia Duchêne :

« Ce soir, je ne vais pas au restaurant, je vais chez le chef »

Le 17 septembre 2020

Elle fut la plus jeune demi-finaliste de Top Chef. À 24 ans, Alexia Duchêne agite la gastronomie avec son ambition, ses envies, ses désirs de voir la restauration changer de visage. 

Elle fut la plus jeune demi-finaliste de Top Chef. À 24 ans, Alexia Duchêne agite la gastronomie avec son ambition, ses envies, ses désirs de voir la restauration changer de visage. 

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Votre présence en ouverture de la Grande Scène au festival Omnivore permet un nouvel élan, se remettre dans le grand bain après une telle période de crise pour les chefs ?

Cela fait des mois que je n’ai pas cuisiné dans un restaurant. J’ai quitté Datsha (Underground) après quelques mois d’ouverture, cela fait quelque temps que je réfléchis à ma prochaine offre, à ce que je voudrais vraiment faire. Je n’ai pas du tout envie d’ouvrir un restaurant à l’heure actuelle, surtout au vu des circonstances, et aussi car je me rends compte que tant que je n’aurai pas mon propre lieu, il sera difficile de m’assumer en tant que chef dans un restaurant qui n’est pas le mien. Omnivore est une très bonne occasion pour moi de montrer au public ce que je compte proposer par la suite. J’ai pris un appartement pour des dîners privés, proposer une cuisine sur-mesure pour que chacun se sente écouté. Je trouve que l’on écoute de moins en moins le client, on est têtu, et je veux proposer l’inverse.

Aviez-vous pris le temps de détailler votre idée de lieu ?

J’ai changé beaucoup de fois d’idées, j’ai voulu ouvrir un restaurant à Paris, puis à Bruxelles… De partir, à Londres, à New York, un milliard d’idées. Peu avant mes vacances, j’ai dû me poser, et j’ai réalisé que c’était une très mauvaise idée d’en ouvrir un. C’est beaucoup d’investissements financiers, des risques, comment réinventer alors mon métier ? Comment proposer autre chose que chef à domicile ? J’ai voulu accueillir les gens chez moi, les appeler pour leur demander quel est leur dessert préféré, je veux cet échange entre le client et moi. Plus qu’un repas. 

Certains chefs souhaitent que rien ne change, d’autres prônent la révolution du modèle du restaurant, où vous situez-vous ?

J’ai envie de changer les choses, d’imaginer les choses complètement différemment. J’aimerais faire des paniers préparés pour des événements, liés aux marques, changer mon modèle de restaurant tous les deux mois, pourquoi pas une évolution par exemple ? Un restaurant végétarien, un tea time, du dessert, du poisson, accords mets thés ou jus. Créer un restaurant chez moi me permet de ne m’imposer aucune limite, personne ne me dicte quoi faire et j’écoute le client. Si ce dernier suit, on est dans un véritable échange.



Un goût pour le risque ?

C’est risqué, mais si on reste passionné par son métier, que l’on est guidé par une vraie réflexion, la clientèle est là, celle qui souhaite découvrir une offre différente existe. Il faut qu’elle soit justement dosée, que le prix suive, que toute l’expérience soit là, mais ça peut être percutant. Les clients peuvent se dire : « ce soir je ne vais pas au restaurant, je vais chez le chef. »

Les notions d’engagement, de responsabilité, résonnent chez les chefs durant cette crise sanitaire, avez-vous poussé la réflexion sur un sujet en particulier pendant cette crise ?

Je me suis effectivement penchée sur la question de la consommation d’alcool pendant la période du confinement. Je réfléchis à des alternatives, sans dire qu’il faudrait arrêter totalement de boire, mais mettre plus de conscience, pourquoi boit-on. J’ai réfléchi à des accords mets et jus notamment, accords déjà introduits dans les pays scandinaves, pourquoi pas les intégrer en France et apporter, peut-être, quelque chose d’aussi intéressant que le vin, à table.  

Vous avez multiplié les collaborations, les pop up, est-ce que c’est une activité que vous maintenez toujours ?

J’aime beaucoup les pop up, ils me permettent de laisser ma créativité s’exprimer. Pendant le Wanderlust, certains ont critiqué le fait que je reprenais un endroit qui n’était pas axé complètement sur la food auparavant, pour moi c’était un vrai challenge : j’ai dû m’atteler au sourcing, rayer tout ce qui existait déjà, remettre au goût du jour et créer une carte très street food. J’ai travaillé dans des étoilés ou des établissements bistronomiques, je devais alors proposer une offre qui n’est pas ma cuisine mais avec des goûts qui me sont propres, c’était très intéressant, j’ai envie de continuer. Un chef, c’est quelqu’un qui sait cuisiner, mais qui sait surtout s’adapter. 

Cette manière de travailler, avec moins d’équipe, plus restreinte, c’est une manière d’amener plus d’humain ?

J’ai un collaborateur proche, avec qui je travaillais à Datscha et qui a souhaité me suivre dans l’aventure. Cela me permet de me focaliser sur lui, sur une transmission vers une seule personne, une éducation, de l’échange, on est très dévoués l’un à l’autre. Son métier est celui de pâtissier et il va apprendre à devenir cuisinier, une petite équipe permet cette impression, ce sentiment de famille. 

Vos espoirs pour la restauration dans les mois à venir ?

Je suis pleine d’espoir pour la gastronomie, elle n’est pas prête de s’arrêter. Je pense qu’il faut accepter qu’il faut changer, je sais que pour certains chefs il est difficile d’accepter que le modèle n’est plus viable, en tout cas pour l’instant. D’autres ont eu beaucoup de courage, sont sortis de leur zone de confort, notamment Amandine Chaignot qui a pensé une offre maraîchère, ce qui représente énormément de travail, c’est très dur, ce n’est pas que de la vente de produits, c’est beaucoup d’investissement. C’est aussi ainsi que l’on avance, en période de crise, on peut voir celles et ceux qui ont des idées.