« Un hiver de mécontentement. » Voilà ce qui nous attend, selon l’Onu, qui tient sa 77e assemblée générale cette semaine à New York sur fond d’insécurité alimentaire mondiale maximale.
Ce n’est même plus une menace, c’est une inéluctabilité, selon l’Onu, qui tenait un sommet sur la sécurité alimentaire, mardi, dans le cadre de la 77e assemblée générale des Nations Unies à New York : le monde se dirige vers une catastrophe alimentaire majeure certaine à mesure que le conflit russo-ukrainien stagne.
Pour être en état de sécurité alimentaire, il faut la disponibilité des produits, l’accès et la qualité garantie de ceux-ci et enfin la stabilité des échanges. Autant dire que toutes les conditions ne sont pas réunies afin d’y arriver et d’éviter le pire à 19 « points chauds » de la planète, menacés par « une famine catastrophique » (phase 5 de la CIP, sorte d’échelle de Richter de la sécurité alimentaire mondiale) et recensés par les Nations Unies.
Sous l’effet des conflits, des effets du dérèglement climatique et de l’instabilité économique aggravée par la pandémie et les répercussions de la crise en Ukraine, 205 millions de personnes dans le monde ont besoin d'une aide alimentaire d'urgence, contre 193 millions en 2021, soit deux fois plus qu'en 2016, selon le Programme alimentaire mondial (PAM) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Sur le plan économique, la persistance des prix mondiaux élevés des denrées alimentaires, des carburants et des engrais, continue d’entraîner des prix intérieurs élevés et une instabilité économique.
Tension sur les produits agricoles
Selon la Banque mondiale, près de 50 pays dépendent de la Russie et de l'Ukraine pour au moins 30% de leurs importations de blé et, parmi ceux-ci, 36 pays s'approvisionnent pour plus de 50% de leur blé dans les deux pays. Depuis l'invasion russe, le train de sanctions à spectre large et la circulation compromise des exportations ukrainiennes, les prix mondiaux du blé et du maïs ont grimpé et sont respectivement de 48 et 28% plus élevés qu'au début de février et de 79 et 37% plus élevés que l'année précédente.
Pour corser l’affaire, certains pays ont pris des mesures de protection de leurs marchés domestiques (l’Indonésie, qui détient 54% du marché mondial de l’huile de palme, a ainsi décidé de suspendre ses exportations en avril dernier ; l’Inde, deuxième producteur de blé au monde, a, peu ou prou, procédé de même ; depuis l’été 2021, la Chine, qui produisait 24,5% des engrais mondiaux en 2019, a cessé de vendre des engrais à l’extérieur du pays, afin de préserver les approvisionnements nationaux…). Les prix agricoles devraient, selon la Banque mondiale, augmenter de 18% cette année, avec la flambée des coûts des intrants, comprenant carburant, produits chimiques et engrais.
Toujours selon la Banque mondiale, au 19 mai 2022, l'indice des prix agricoles a augmenté de 42% par rapport à janvier 2021. Les prix du maïs et du blé sont respectivement supérieurs de 55% et 91% par rapport à janvier 2021, tandis que les prix du riz restent inférieurs d'environ 12%. Des niveaux qui risquent de nous prendre à la gorge jusqu'à la fin de 2024, exacerbant l'insécurité alimentaire et l'inflation, selon les Perspectives des marchés des produits de base d'avril 2022 de la Banque mondiale. Les produits agricoles sont attendus en hausse de près de 20% en 2022.
Engrais azotés, le prochain écueil
Au cours des prochains mois, un défi majeur sera l'accès aux engrais, dont les prix sont en hausse en mars de près de 20% depuis janvier 2022 et presque trois fois plus élevés qu'il y a un an. La Russie est le premier exportateur mondial d'engrais azotés et le deuxième fournisseur d'engrais potassiques et phosphorés. La Russie et la Biélorussie produisent 38% des engrais potassiques, 17% des engrais composés et 15% des engrais azotés. Cette hausse des prix pose un risque important pour la production agricole dans le monde entier. Des coûts d'intrants plus élevés seront répercutés directement sur les consommateurs ou entraîneront une moindre utilisation, donc des récoltes moindres. Et surtout un impact négatif sur l'accessibilité des aliments et, par conséquent, sur la sécurité alimentaire dans les mois à venir.
Selon le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2022, 193 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë en 2021, soit une hausse de près de 40 millions de personnes par rapport à 2020. Dans 83 pays, les enquêtes réalisées montrent qu’un nombre important d’individus ont manqué de nourriture ou diminué leur consommation depuis le début de la pandémie.
« La sécurité alimentaire est aujourd'hui le premier des défis mondiaux. La crise alimentaire mondiale actuelle est exacerbée par la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine. La famine menace dans de nombreuses régions du monde, et il est désormais temps pour nous tous de traduire nos engagements politiques en actions concrètes », prononçait en préambule du sommet, Charles Michel, président du Conseil européen. Il est temps, clairement. On attend.
Audrey Vacher
© James Baltz