Rasmus Munk : Sommerfugl effekt*
Le chef natif de Randers et tête infiniment chercheuse de l'Alchemist à Copenhague, continue de faire irradier son savoir-faire culinaire partout où il passe.
Le chef natif de Randers et tête infiniment chercheuse de l'Alchemist à Copenhague, continue de faire irradier son savoir-faire culinaire partout où il passe.
Un dîner à l'Alchemist pourra durer près de 6 heures. Fascinante ou décriée, abondante en idées ou parfois trop gadget, Rasmus Munk ne cuisine que pour diviser, agiter, sans une once de provocation volontaire. La cuisine est son terrain de jeu. A 30 ans, Rasmus Munk continue son jeu d'illusion, la scène, le spectacle ne le terrifie pas, tout complète son art et rien n'altère son envie de le raconter. Court entretien post-Grande Scène d'Omnivore, juste assez pour que l'on puisse échapper un vrai Sygt nok!.
Une question simple avant d'aborder cet entretien : quand prenez-vous une chaise, réfléchissez posément à une idée ?
R.M : (rires) J'ai surtout énormément de chance d'avoir une énorme équipe à mes côtés, nous sommes 35 chefs, le studio, les artistes, tous ont un manager et je m'assois avec eux. Nous discutons de nos idées, celles que nous souhaitons voir aboutir, qu'en faire, et surtout je délègue énormément : certains se chargent d'appeler les producteurs, les fournisseurs... J'ai toujours eu l'habitude de tout faire moi-même, et j'ai dû apprendre notamment grâce à la période que nous avons traversée, de dispatcher les choses. Il faut arriver à atteindre cette pause dans l'emploi du temps, ne pas avoir de réunions, juste arriver à être seul avec soi-même, son esprit, c'est là que les meilleures idées viennent à vous, tout en étant à mon restaurant à l'ouverture. J'y arrive peu à peu.
Vous êtes évidemment loin des standards danois, vous éVINCEZ cette idée de confort dans CETTE CUISINE, DE L'ANTI-HYGGE.
R.M. : Je ne vois pas cela comme une provocation, mais je pense que j'étais fatigué, je ne trouvais pas d'énergie dans la cuisine déjà existante. Il fallait que je farfouille dans la cuisine nordique, moléculaire, la Nouvelle Cuisine... Je ne me retrouvais dans aucune d'entre elles. Je suis plus dans le concept, l'idée, emmener l'ingrédient ailleurs. J'ai une autre ambition qu'obtenir une bonne critique. Toutes ces choses sont certes attirantes, mais ce n'est pas mon but avec mon restaurant : j'examine comment changer la gastronomie, questionner si on y va pour la cuisine, l'art ou l'expérience. On peut regarder en arrière, en pleine Renaissance, en Italie. Autrefois, il n'existait pas de coulisses où les acteurs et musiciens répétaient dans leur coin, tous répétaient ensemble, et à force on a obtenu l'opéra ! Je n'oserai pas dire que l'Alchemist est un nouvel opéra de la Renaissance, mais je le vois quand nous combinons tous ensemble notre savoir-faire, nos techniques, les musiciens, des arts différents. Pour moi c'est la cuisine holistique, c'est la partie intéressante. Je ne me vois pas faire autre chose en cuisine, si je dois en faire, elle est là, ma vocation.
VOTRE CUISINE REMUE, CRÉE LA FASCINATION, MAIS PEUT AUSSI ENTRAÎNER LE REJET, OU MÊME LA MISE À L'ÉCART DU PUBLIC. COMMENT MAINTENEZ-VOUS CETTE INVITATION DANS VOTRE UNIVERS ?
R.M. : De l'extérieur, elle peut être effrayante effectivement, voire excluante sur certains aspects. Des gens peuvent se dire "non, aucune envie de m'asseoir et de goûter une langue, manger un papillon"... Beaucoup de chefs sont passés par le restaurant et ont confié qu'ils étaient "sceptiques" ou s'attendaient à un véritable "cirque", et certains ont dorénavant admis être ravis d'avoir eu les tripes de venir et de s'attabler. Je suis plein d'espoir le soir, dès qu'un hôte porte à sa bouche la première bouchée, j'espère qu'il se sent invité. Je pense que cela est important, que vous soyez un chef connu dans le monde entier, un étudiant en gastronomie ou même si vous n'avez absolument aucune connaissance en cuisine, l'expérience doit être bonne. Quand vous entrez dans un restaurant, il faut oser, faire le premier pas, payer ce que cela vaut, et bien sûr que vous vous sentiez invité.
MÊME SI LA DIMENSION DE SPECTACLE EST BIEN Là, IL FAUT UNE CONNAISSANCE EXTRÊMEMENT AIGUE DES PRODUITS QUE VOUS UTILISEZ. COMMENT POURSUIVEZ-VOUS VOTRE PROPRE ÉDUCATION, ENTRE LIVRES et BALADES EN FORÊTS ?
R.M. : (rires), c'est vrai. Je reviens à ce papillon qui n'a jamais été servi auparavant. Il a fallu le rendre comestible, le servir, cela vous donne un autre angle d'attaque dans la recherche de saveurs. Au-delà de la découverte dite, normale, aller à la rencontre d'un producteur et découvrir régulièrement ses produits de saisons, il y a aussi un pan beaucoup plus exploratif qui compile des collaborations avec des chefs, des chefs de projets mais aussi des étudiants qui rédigent des études scientifiques, par exemple. C'est la meilleure partie, on essaie de se hisser à un autre niveau à chaque fois.
VOUS QUI METTEZ L'ACCENT SUR L'APPRENTISSAGE, LA CONNAISSANCE, CONTINUEZ-VOUS À ÊTRE SOUVENT DÉÇU PAR UNE IDÉE QUI N'ABOUTIT PAS ?
R.M. : Presque toujours. Voire, tout le temps. J'ai cette idée que je tiens et oui, souvent, cela ne fonctionne pas. C'est pourtant le seul moyen de vous faire avancer, comme cette idée de papillon que j'ai eue en tête depuis cinq ans. Nous avons essayé, goûté, tellement d'espèces de papillons qui finalement avaient très mauvais goût, et au bout d'un moment on laisse tomber. Mais quand le succès jaillit, on savoure ce nouveau pas en avant.
Propos recueillis par Hannah Benayoun
* effet papillon
Refshalevej 173C, 1432 København, Danemark