Technique japonaise et produits péruviens. Découverte d’un melting-pot culinaire devenu un monument gastronomique planétaire.
Il s’appelle Nobuyoki Matsushima mais tout le monde l’appelle Nobu, y compris son ami et associé Robert De Niro. Sans lui, la cuisine Nikkei, cette gastronomie nipponne émigrée qui puise dans le patrimoine sud-américain pour donner naissance à une fusion inédite, n’aurait sans doute jamais dépassé les frontières du Pérou. Cuisine fusion ? On prend vite peur à l’idée d’un back to the future eighties en direction d’une page plutôt sombre de la gastronomie mondiale. À tort, même si elle aujourd’hui très tendance, la tradition Nikkei plonge ses racines dans l’histoire très particulière de la diaspora japonaise.
Ceviche et tiradito
Pendant des siècles, l’émigration nippone a été quasiment inexistante. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour voir les Japonais s’expatrier vers les États-Unis mais aussi vers l’Amérique du Sud. Le Brésil compte aujourd’hui la plus grande communauté de nikkeijin, avec pas moins de deux millions de personnes résidant principalement à São Paulo et dans les états du Mato Grosso do Sul et de Paraná. Au Pérou, ce sont un peu plus de 100 000 personnes qui ont des origines japonaises. Une population moins conséquente mais dont l’influence reste importante. De 1990 à 2000, le pays a ainsi eu pour président Alberto Fujimori, dont les deux parents venaient de Kyūshū.
Ces immigrants ont apporté leur manière de faire et leur approche des produits, notamment des poissons et des fruits de mer, et ont radicalement transformé la gastronomie péruvienne. Le ceviche et le tiradito, les deux grands plats de poisson cru emblématiques du Pérou, n’auraient certainement jamais vu le jour sans l’influence japonaise et son art du sashimi. Mais cela joue dans les deux sens avec, par exemple, le rôle essentiel des piments aji – typiquement péruviens – dans la marinade ou dans les sauces. L’un transforme l’autre, dans un échange constant qui se nourrit autant des recettes familiales que de l’inventivité des chefs.
Au Japon, la cuisine Nikkei n’est pas toujours reconnue à sa juste valeur, selon la journaliste et auteure culinaire Chihiro Masui, elle est considérée comme une sorte d’imitation vaguement étrange, connue seulement de quelques foodies. Elle est pourtant extrêmement créative et continue de se réinventer, notamment grâce aux talents de chefs comme Mitsuharu Tsumura dans son restaurant Maido. Natif de Lima, ce dernier a étudié aux États-Unis avant de compléter sa formation auprès d’un maître sushi et dans un izakaya d’Osaka. Un parcours qui lui permet de comprendre tous les tenants de la cuisine Nikkei, avec une maîtrise sans faille des techniques nippones qu’il applique aux superbes ingrédients végétaux et marins du terroir péruvien. Une harmonie aux saveurs complexes qui fait évoluer la tradition tout en racontant l’histoire éminemment humaine de deux peuples unis autour d’une même culture de l’hospitalité.
Peyo Lissarrague