Au Canada, à la sortie d’un hiver dont on ignore les rigueurs de ce côté de l’Atlantique, le printemps est encore plus qu’ailleurs le moment de se retrouver entre amis, en famille, de sortir, de tr
Le Covid-19 a beau avoir gâché ces agapes païennes, il n’a pas pour autant entamé l’optimisme et l’esprit de solidarité des Québécois. Devançant les décisions officielles, plusieurs restaurants de Montréal ont fermé leurs portes dès le 16 mars. Ce fut le cas du plus omnivorien d’entre eux, l’indispensable Mon Lapin du non moins indispensable Marc-Olivier Frappier. Joint par téléphone, le bon génie de Mile Ex nous a raconté le quotidien de sa ville en quarantaine.
Cela fait déjà un mois que le Canada est en confinement. Concrètement, quelles sont les aides mises en place pour le secteur de la restauration ?
Au Québec nous avons un système de solidarité qui fonctionne bien. Les employés de la restauration vont par exemple pouvoir bénéficier d’une indemnité de 2 000 dollars versée par le gouvernement. C’est évidemment moins que leur salaire mais ça permet de couvrir les besoins de base. Pour les aider un peu plus, le restaurant Elena vend un livre de cuisine en ligne à 15 dollars dont chaque cent est reversé au Fonds de Secours aux Travailleurs de la Restauration de Montreal. De façon générale, je ressens une vraie solidarité entre les gens ici à Montréal depuis le début de l’épidémie. Nous sommes mieux lotis que nos voisins américains, qui n’ont quasiment aucune protection sociale et qui prennent de plein fouet les retombées économiques.
Les restaurants et les bars ne peuvent plus ouvrir, mais la vente à emporter est autorisée. Tu n’as pas voulu te lancer dans cette aventure ?
On s’est posé la question. Longuement. Mais la vente à emporter, ça ne correspond pas vraiment à notre façon de travailler. Et nous ne voulions pas non plus mettre notre équipe dans une situation à risque. Cela dit, rester les bras croisés à regarder couler le navire… alors nous avons décidé de faire une sorte d’événement une fois par mois. On a commencé le week-end dernier avec une vraie tradition québécoise, le jambon de Pâques. Les clients pouvaient aussi acheter un « jambon suspendu », c’est-à-dire un deuxième jambon offert à une organisation qui prend en charge les jeunes sans abri. Dans trois semaines, pour la fête des mères, nous allons à nouveau préparer quelque chose.
Il y aura quand même des conséquences économiques. Comment vois-tu la suite ?
Je pense que nous allons survivre, à condition que ça ne dure pas trop longtemps. Et nous allons tous devoir nous réinventer. Le concept du bar à vin bondé où tu ne trouves pas forcément une place pour t’asseoir et où tu bois serrés les uns contre les autres ne va sans doute plus être à la mode. On voit aussi que les gens sont en train de changer leurs habitudes. Avec les fermetures de frontières (la plus grande frontière terrestre au monde entre les USA et le Canada est aujourd’hui totalement fermée), les produits locaux sont omniprésents dans les magasins. Même ceux qui n’étaient pas des locavores convaincus s’y mettent. Ça laissera des traces.
Tu veux dire que les productions locales vont s’imposer comme une nécessité ?
Je n’ai pas une boule de cristal mais je suis persuadé que les mentalités vont changer. Il faudra se poser la question de ce qu’on entend par local évidemment. Soit on est sur une définition politique, en considérant que ce qui est canadien est local. Soit on prend plutôt en compte la distance, sans se soucier des frontières nationales. Dans un pays aussi grand que le nôtre, la première définition peut être faussée. Un produit de Gaspésie, à dix heures de voiture de Montréal, est moins local qu’un produit du Vermont. L’état de Colombie Britannique est plus éloigné que le nord du Mexique, là aussi, qu’est-ce qui est le plus local ? Je n’ai pas forcément une réponse toute faite mais ça doit nous interroger et nous servir à penser la suite.
Propos recueillis par Peyo Lissarrague