Camille Lugol a cofondé son entreprise en 2020.
Nous nous sommes lancés en mars 2020, mais nos tests ont été décalés à cause du confinement. Nous avons pu lancer notre première production en septembre-octobre, juste avant le nouveau confinement national. Nous travaillions en B2B et B2C, nous avions à cœur de vendre nos bières à l’ASIP CHR. Avec un reconfinement et une fermeture de points de vente, on a été contraints de redessiner les contours de notre modèle en nous axant sur du B2C, notamment en travaillant via une campagne de financement par Ulule, ce qui nous a permis d’être visible. Le projet d'origine n’était pas de faire de la bière, c’était d’avoir un impact dans la valorisation des invendus alimentaires. On sait que les boulangers sont touchés par le gaspillage, on parle de 50 kilos d’invendus par boulangerie par semaine. Il y a beaucoup de choses de faites côté bière, notamment au niveau des drêches, mais très peu au niveau du pain. On a trouvé, grâce au marché brassicole, une manière de traiter ces invendus et de leur donner une seconde vie via une transformation. Beaucoup de choses sont faites en aval, nous, on se place en amont.
À l’aune de votre lancement, vous vous êtes donc emparé de la problématique boulangère. Avez-vous échangé avec différents acteurs du secteur, récolté des données sur leurs besoins ?
Absolument. Mon ancien associé était familier du secteur, mais il a fallu échanger beaucoup : savoir quel type de pain ceux-ci produisaient, quelle quantité il leur restait. Il faut savoir que c’est impossible à prédire. Beaucoup de facteurs sont à prendre en compte, telle la météo. Notre but est de se positionner comme un second maillon de récupération des invendus. Un second maillon car nous arrivons après les associations, les entreprises comme Too Good To Go ou Phénix qui, eux, récupèrent de l’invendu encore frais. Nous, à l’inverse, on séchera le pain, le déshydratera pour des questions d’hygiène, mais il est important pour nous de nous placer en second plan car ce que nous produisons reste moins important. Il faut d'abord redistribuer les invendus à ceux qui en ont besoin.
Votre entreprise est jeune, mais grossit rapidement. Vous avez souligné que le gaspillage boulanger était réel, La Miche, en chiffres, c’est quoi ?
Nous sommes à plus de 4 tonnes de pains revalorisés en tout. Aujourd’hui, nous n’avons pas la capacité de traiter le pain en continu, cela rentrera dans les prochaines étapes, aujourd’hui, on récupère, on transforme et on apporte au brasseur. On récupère nous-mêmes le pain en boulangerie, ou à des points de récoltes partenaires, et après la période de déshydratation, on apporte le tout au brasseur et on incorporera un tiers des matières premières qui ne sont pas du blé, du malt ou de l’orge, mais donc du pain. On enverra la bière en fermentation entre deux ou trois semaines, entre le moment où l’on apporte le pain et le moment où l’on récupère nos bières étiquetées, il se passera un mois et on produit des fûts de 30 litres et des bouteilles de 33 cl.
Comment travaillez-vous le goût ? Comment avez-vous établi le plus important, la saveur de votre bière ?
Il y a évidemment le premier acte que nous avons pris, se positionner comme une entreprise antigaspi, mais il y a également le pan artisanal que nous défendons. Nous produisons une bière à partir de pains français, sourcés à partir de matières premières situées à proximité, bio ou Label Rouge. Nous restons des épicuriens dans l’âme, donc on récupère de bons produits pour produire une bonne bière. Notre cahier des charges d’origine est plutôt strict, nous voulions une bière brune, simple, d’entrée de gamme qui n’ait pas nécessairement le goût de pain. Le but de cette bière est rattaché à la démarche d’origine, on ne voulait pas d’une bière au goût de pain, mais bien une bière qui existe grâce à des invendus, ces pains qui auraient pu finir à la poubelle. On a évidemment fait beaucoup d’ajustements, la première n’était évidemment pas parfaite. On fonctionne pour les tests sur des brassins de 15 litres, on travaillera sur trois d’entre eux, avec des houblons, des malts différents, des pains différents, on mixera le tout pour obtenir ce que l’on veut. Mais à chaque brassin, on fait évoluer le tout pour éliminer au maximum les imperfections, les défauts que l’on peut apercevoir à chaque dégustation.
Votre phase de commercialisation a-t-elle été complexe ?
Au début nous avons eu de tout, lorsque l’on veut vendre une bière à partir d’invendus de pain, cela n’a pas inspiré confiance à beaucoup d’acteurs. Mais tout réside dans le discours commercial que nous avons tenu et comment nous avons présenté cette bière. Il y a ceux qui ont voulu « goûter » cette démarche, découvrir cette bière dans cet esprit engagé. Il a fallu s’adapter mais on a eu un superbe accueil.
Quelles observations avez-vous faites auprès de votre clientèle, comment a-t-elle évolué depuis la création de l’entreprise ? Est-ce que vous rencontrez des creux de production, étant dépendants de la récolte de pain chez vos boulangers-partenaires ?
Lorsque nous sommes passés en B2C, il a été très difficile de démarcher les lieux qui souffraient déjà du Covid, nous avons dû alors retravailler notre cible. Nous nous sommes tournés vers les cavistes et les épiceries, on a pu ajuster notre discours avec ces personnes et découvrir leur appétence pour notre sujet. Cependant après notre passage sur le salon Sirha Europain, nous avons été contactés par une quarantaine de boulangeries en Île-de-France, on remarque que la demande est constante. Avec tous les boulangers avec lesquels nous travaillons, nous avons plus de pics que de creux. Pour nous, aider les boulangers reste un travail de tous les jours, ce n'est pas que de la commercialisation, cela reste un travail de fond.
Propos recueillis par Hannah Benayoun
Création de l'entreprise en 2020
Un réseau d'environ 50 boulangers en Ile-de-France
Près de 1 478 000 litres d'eau ont été sauvés grâce au remplacement des céréales par du pain invendu
Chaque carton de 24 bières représente 1 kilo de pain sauvé, soit 4 baguettes Tradition.
4 tonnes de pain ont été revalorisés depuis la création de l'entreprise.
Les pertes nettes des invendus pour les boulangers de Paris extra-muros avoisinent les 11% pour environ 3 200 boulangeries.
Sources : La Miche.