Philippe Muscat : « La restauration collective doit se réinventer »
La restauration collective vit ses plus grands challenges depuis mars 2020 : ouvertures partielles ou fermetures totales, problème de recrutement, clientèle dilettante... Difficile retour à la normale ? Grand angle avec Philippe Muscat, directeur du restaurant inter-administratif de Lyon.
La restauration collective vit ses plus grands challenges depuis mars 2020 : ouvertures partielles ou fermetures totales, problème de recrutement, clientèle dilettante... Difficile retour à la normale ? Grand angle avec Philippe Muscat, directeur du restaurant inter-administratif de Lyon.
QUELS ONT ÉTÉ LES CHALLENGES DE REPRISE POUR VOTRE ACTIVITÉ ?
Dès mars 2020, en accord avec mon conseil d'administration de Lyon, notre structure n'a pas fermé. Nous étions en mode dégradé, car nous ne faisions que des plats à emporter, mais nous avons pu aider la cuisine centrale de Saint-Priest pour la livraison de repas pour les personnages âgées et des enfants de soignants. Sur une centaine de R.I* en France, seuls cinq sont restés ouverts pendant la première vague. Côté gestion, ce fut la reprise, les directives gouvernementales, la gestion au niveau du télétravail des convives et surtout un élément qui est ressorti : la gestion des ressources humaines. Dans mon équipe, il y a eu des impacts, entre ceux qui sont partis, ceux qui voulaient faire autre chose et il y a aussi la santé mentale.
Dans la restauration collective, beaucoup en sont sortis fatigués, épuisés, je l'ai énormément ressenti, encore aujourd'hui. Et enfin, il y a ce retour des convives avec des attentes différentes et des exigences différentes. Nous avons eu des hauts, des bas, nous avons suivi la situation sanitaire, nous avons eu des remontées en nombre de couverts avant octobre 2020 (deuxième vague) et cela a chuté après de lourdes directives gouvernementales pour la restauration collective en janvier 2021, mais sur le RIL, nous étions à 40/50% de notre activité. Maintenant, l'impact du télétravail est flagrant, avec un impact direct sur notre activité. Le vendredi révèle une chute vertigineuse d'activité pour la restauration collective, je peux me retrouver avec 400/500 couverts en moins ce jour-là.
VOUS PARLIEZ DE RÉINVENTER CE MODÈLE, À CE JOUR BEAUCOUP DE START-UP, DE JEUNES ENTREPRISES VEULENT RÉ-IMAGINER LA RESTAURATION D'ENTREPRISE, LA CANTINE... ON A VU L'ÉMERGENCE D'OFFRE À LA CARTE OU ENCORE DES FRIGOS CONNECTÉS QUI FAVORISE L'AUTONOMIE ET LA DÉMATÉRIALISATION. EST-CE QUE CELA REMET EN QUESTION LE BUT MÊME DE LA RESTAURATION COLLECTIVE ?
Après le premier confinement, tout le monde y est allé de son idée et à juste titre. Je me rappelle avoir échangé avec une vingtaine de directeurs de restaurants d'entreprise et tous, quasiment, avaient une vision, une envie de développement. Tout ce qui avait été proposé, je l'avais testé pendant le premier confinement, j'en ai pesé les conséquences. Proposer de la VAE, du click and collect, je l'ai fait... Quand je parle de se réinventer, c'est surtout se recentrer, il ne s'agit pas de tout repenser, mais il fallait se re concentrer sur notre activité, la restauration de self, récupérer nos convives et améliorer le développement. À vouloir faire du CA, des livraisons, installer un frigo connecté, tout cela a un coût en matériel, en matières premières, en masse salariale, et avant d'arriver à une rentabilité, c'est mettre le restaurant en danger. Actuellement, nous sommes dans la stabilisation, nous tournons à 85% de convives, nous devons nous assurer de leur satisfaction, on ne part pas chercher les 15% absents, nous sommes encore confrontés aux jauges et encore exposés à des restrictions. Pour le moment, tout est trop tôt, on ne peut que stabiliser.
LE RESTAURANT D'ENTREPRISE, LE SELF, OU MÊME LA CANTINE SCOLAIRE SONT DES REPÈRES SOCIAUX. VOUS AVEZ DES FIDÈLES DU LIEU, EST-CE QUE VOTRE PUBLIC A CHANGE, ÉVOLUE ? PARVENEZ-VOUS À DÉVELOPPER LES NOUVELLES EXIGENCES DES CONVIVES ?
Il y a le temps d'attente. Avant la pandémie, ils attendaient moins de six minutes, maintenant, ils peuvent attendre autour de dix minutes et c'est trop long. Les gens ont oublié qu'ils étaient en restaurant d'entreprise, ils ont oublié qu'il y a du monde, non il n'y a pas trop de monde, car nous servions autrefois plus de 1 500 personnes par jour. Les gens ont perdu des habitudes et des repères, tout ceci accentué par le télétravail. Cependant, nous avons la même clientèle, mais pour la restauration tout ce qui s'est passé a été violent. Pendant plusieurs mois, il n'y avait plus personne, pas même les fidèles. En 2013, nous avons eu un sinistre, nous avions déjà perdu la quasi-totalité de nos convives. Nous avons mis trois années à récupérer nos clients. Les habitudes étaient prises, et puis il y a eu des craintes... Je sais donc pertinemment que tout ne se récupérera pas en un an.
VOUS AVEZ CETTE FIDELITE, CE NOYAU QUOTIDIEN QU'IL VOUS FAUT MAINTENIR…
Nous sommes dans un restaurant intégré à la cité administrative. Dans certains esprits, venir dans notre restaurant signifie rester encore, au travail. Certains préféraient sortir, aller dans un restaurant, pour casser le rythme. Nous, on doit créer cette envie, cela va de pair avec le fait-maison, la qualité de nos produits, de nos repas. C'est un énorme challenge de reconquête. Aujourd'hui, on vous dit qu'une cantine détient un caractère social, mais en restaurant d'entreprise, il n'y a plus que le tarif qui est social. Mes convives sont bien plus exigeants avec moi qu'avec le restaurant d'à côté. Le temps d'attente, lorsqu'il n'y a plus de choix à 13 heures, certains des clients ne laissent rien passer. Le restaurant d'entreprise est un restaurant comme un autre.
VOTRE RESTAURANT œUVRE POUR LE FAIT-MAISON AVEC DES PRODUITS DE QUALITÉ, Où EN EST CE PROCESSUS ? EST-CE QUE VOS CLIENTS POURRAIENT PAYER PLUS CHER ?
Nous travaillons sur la reconnaissance et l'accélération du fait-maison en restauration collective, un travail commun avec Restau'Co, et on va plus loin. On travaille également sur le titre Maître-Restaurateur, un audit externe pourrait effectivement être fait, mais je travaille actuellement sur les éléments qui à ce jour ne nous permettent pas encore d'y accéder. On a travaillé notre communication en amont auprès de nos clients, il fallait expliquer, démontrer et expliquer et avec la loi EGALIM, j'ai augmenté mes prix au 1er septembre et je n'ai reçu aucune plainte.
Propos recueillis par Hannah Benayoun
Avant mars 2020 :
* Entre 1300 et 1 400 couverts servis par jour
* 33 postes (28 salariés / 3 apprentis / 2 mises à disposition (RQTH Messidor)
Pendant la pandémie
* La VAE est montée jusqu’à 20%, aujourd’hui elle est revenue comme avant, c’est-à-dire environ 10%
Aujourd'hui :
* Actuellement 75-80% des couverts servis du lundi au jeudi et plutôt 70-65% selon les semaines, le vendredi.
* Côté recrutement et ressources humaines : « Aujourd’hui nous tentons de tenir le nombre de postes, mais si la chute de couverts perdure, certains postes d’apprentis ou autres mis a disposition (réinsertion RQTH) ne seraient pas renouvelés. »