Du matin au soir, entre deux averses, on a retrouvé les terrasses à Bordeaux. Nourri avec énergie. Récit.
Le ciel bordelais a joué avec nos nerfs pour cette semaine de reprise. Les yeux rivés sur la météo agricole, nous avions prévu notre journée du mercredi 19 mai avec méthodologie. Quelles terrasses choisir ? Ne surtout pas se tromper. Après six mois d’abstinence, il nous fallait notre dose de café, de bistro et de gastro. Nous avions décrété que le lendemain serait férié afin de profiter pleinement de l’événement. Jamais les terrasses n’avaient été prêtes aussi tôt dans ce Bordeaux à peine réveillé mais déjà au taquet, entre deux averses.
Café allongé
« Un grand crème s’il te plaît Guillaume. » Il est 8 h 45 et cette phrase vient mettre un point final, enfin on l’espère, à un chapitre qu’on a détesté. Il règne sur la terrasse du Charabia un genre d’ambiance de pré-Coupe du monde de foot. Le sourire sur toutes les lèvres, l’espoir et l’envie d’être ensemble. À côté, son voisin Téo Barazer, court, « dans le jus » pour la première « vraie » ouverture de Bibi, son bar à vins ouvert en confinement.
Insatiables, comme si ce répit ne nous était accordé qu’une journée. Nous décidons que ce café sera allongé… dans le temps et que nous ne quitterons notre place en terrasse que pour en retrouver une autre ; celle d’une emblématique cantine du midi. Les visages familiers de cette adresse de quartier furent aussi réconfortants que l’entrée du jour : une panzanella verde, salade de pain, légumes de printemps et vinaigrette aux herbes proposée par Kika Baumhauer, la cheffe du Wanted Café, visiblement bien dans son assiette. Qu’il est bon de voir ce café solidaire des Capucins rideau levé. Lieu essentiel de l’aide alimentaire locale, c’est ici qu’en catimini et avec l’aide de chefs et bénévoles, 6 000 repas ont été préparé lors de ce dernier confinement.
Le soleil perce enfin. Il fait beau, même chaud, et c’est mérité.
Au / Bon / Endroit
Une terrasse en entraînant une autre, il est 17 h 30 et déjà l’heure de se diriger vers notre réservation du soir : Le Prince Noir. L’ascension vers le Vieux-Lormont se fait avec la boule au ventre, mélange de faim et d’excitation.
18 heures pétantes. Les braises sont déjà prêtes. Les yeux de Vivien Durand sont souriants derrière ce satané masque, dont on oubliera presque la présence ce soir-là. Il règne dans le parc une belle atmosphère, avec une équipe plus sereine que surexcitée, à moins que ce ne soit la concentration. Ce service du soir est finalement le premier de la journée pour eux car, a contrario de Bordeaux, la pluie a eu raison des 36 réservations du déjeuner. « On a appelé les gens à 11 h 45 pour annuler. Tout le monde était adorable, personne n’a gueulé. » Un aperçu du lot quotidien qui les attend jusqu’au retour « à la normale ».
Nous nous attablons donc à La Terrasse du Parc, nouvelle entité du lieu, sous-entendu, la cuisine d’été du Prince Noir. Clément Bruneau, le sous-chef, est devant les braises. Vivien, au service : « Vous choisissez ou vous nous laissez vous faire à manger ? » La carte est riche de 17 propositions « slashées ». « Et encore, j’ai mis le frein parce que si je m’étais écouté … »
Les plats défilent avec fluidité. Le soleil se couche sur le pont d’Aquitaine : le rose des nuages, le Blanc-Bonhomme de Peybohomme, cuvée adorée du coin, et ces fulgurances dans l’assiette… Seiches à la braise / bolognaise de têtes ; Salicoque / Rhubarbe / Anchois. L’exercice du tapas lui va comme un gant avec grosse mise en place et cuissons rapides devant le client. Profitant de l’immense espace, la Terrasse du Parc sera ouverte tout l’été. À partir du 2 juin et en attendant la « vraie » réouverture de fin juin, l’équipe du Prince Noir proposera aussi pour 10 couverts le menu gastronomique. Deux lieux en un. « C’est dingue, c’est comme si on avait fait deux semaines de coupure. On a repris avec le même entrain, avec une motivation de fou. » Une gentille ivresse nous enveloppe alors qu’il fait encore jour et qu’il faut déjà partir.
Lendemain de fête
Loin de nous, Bordeaux-centre est en ébullition. Ce n’est plus une réouverture, c’est une feria avec bandas, paquito, mouvements de foule et débordements. Le lendemain, la voix cassée de Guillaume du Charabia en témoigne : « C’était violent moralement et physiquement. Entre mes clients habitués et tous les autres, ça a été la folie. Je pensais ne pas refaire de réservations mais j’ai envie de pouvoir prendre soin de mes clients, de pouvoir les conseiller, qu’ils passent un bon moment et que l’on ne soit pas juste une terrasse qui tire des bières à tout-va. »
Vivien aussi se questionne : « Les demandes explosent. Je pense qu’on ouvrira les réservations d’une semaine sur l’autre ». Comment faire en sorte d’être serein avec les réservations et tout de même laisser une chance aux clients de trouver une place, même en dernière minute ?
Tenir sur la durée et gérer les flux, voilà le challenge des prochaines semaines.
Par Lucile Arnaud