Frioul-Vénétie julienne : Itinéraire de goût
La région, voisine de l'Autriche et de la Slovénie, regorge de trésors gastronomiques. Et c’est une Frioulane du cru qui vous les raconte, avant le premier des pop up dinners organisés par l'Agence italienne pour le commerce extérieur et Sirha Omnivore, à Strasbourg lundi 3 avril.
La région, voisine de l'Autriche et de la Slovénie, regorge de trésors gastronomiques. Et c’est une Frioulane du cru qui vous les raconte, avant le premier des pop up dinners organisés par l'Agence italienne pour le commerce extérieur et Sirha Omnivore, à Strasbourg lundi 3 avril.
« Parla come mangi »
Une histoire complexe, qui a souvent vu la région fragmentée et ses limites bouger, de l’Empire romain aux Lombards, de la domination vénitienne à l’habsbourgeoise, jusqu’aux plus récents conflits mondiaux. Le dialecte du Frioul est reconnu comme une langue mais il n’y en a pas qu’un seul : on parle le carnico au Nord, le triestino à Trieste, le bisiaco dans la province de Gorizia, le gradese à Grado et un dialecte vénitien à Marano… Mais on parle aussi le slovène tout au long de la frontière qui sépare les deux pays, et l’allemand en s’approchant de l’Autriche. En Italie, où « parla come mangi » (parle comme tu manges), retrouve-t-on autant de diversité dans l’assiette frioulane ?
La réponse est oui, en partant de produits simples. À l’année, polenta sous toutes ses formes ; viande de porc, fraîche ou en salaison ; fromages au lait de vache, comme le Montasio et le Latteria ; poisson adriatique tout au long de la côte. Au printemps, place aux herbes sauvages, comme le scolpit (silène), les urtisons (pousses de houblon sauvage), ou le pissenlit, pour des risotti, des frittate (omelettes) ou pour farcir des ravioli. Tout en étant l’une des plus petites régions de la Botte en superficie, le terroir de la région du Frioul-Vénétie Julienne offre une grande diversité. Autant géographique, des Dolomites frioulanes jusqu’au golfe de Trieste, en passant par les douces collines du Collio, que culturelle, car cette terre de frontière est une mosaïque de traditions, dialectes et influences, du fait de sa position géographique et de son passé.
Trieste et le Carso, entre cafés littéraires et osmize
Trieste, chef-lieu du Frioul-Vénétie Julienne, est une petite Vienne sur la côte adriatique, avec sa magnifique Piazza Unità, la plus grande d’Europe ouverte sur la mer. Gouvernée par l’Empire austro-hongrois durant plus de cinq siècles et rattachée au royaume d’Italie en 1919, on y respire une atmosphère toute particulière, entre l’architecture néoclassique et la vivacité culturelle qui caractérise les villes portuaires. Ville natale des écrivains Umberto Saba et Italo Svevo, son charme a su conquérir aussi Franz Kafka et James Joyce.
Aujourd’hui siège d’une des marques de café (llly) les plus connues, qui y a fondé aussi son université, la ville a toujours été est un des ports principaux pour le commerce des fameux grains en Méditerranée, d’où l’importance de ses cafés historiques, de lieux de vie et d’échanges plus encore que de restauration, chacun avec son identité et sa faune. Ainsi le Caffè Tommaseo (1830), le Caffè degli Specchi (1839), le Caffè San Marco (1914) et le Caffè Stella Polare (1865).
À table, les spécialités de la mer Adriatique côtoient les plats hérités de l’Empire des Habsbourg : on trouve ainsi les « pedoci alla scotadeo » (moules à la « brûle les doigts », un sauté de moules), les sardines grillées ou les « scampi alla busara » (langoustines à la tomate) à côté du goulash (soupe de bœuf au paprika), de la jota (soupe de chou fermenté, haricots et couenne de porc), du jambon cuit servi avec le raifort, ou encore des gnocchi farcis de prunes entières, avec du beurre et de la chapelure, un plat sucré et pourtant servi comme primo piatto.
La ville est ceinte du Carso, un haut plateau sauvage et rocailleux, modelé par le vent et parsemé de grottes, qui s’étend des montagnes jusqu’aux falaises surplombant la mer. Dans cette nature d’une beauté unique se trouvent aussi les osmize : des maisons de particuliers qui ont généralement une micro-production de vin non commercialisé et qui ont le droit d’ouvrir au public pendant de très courtes périodes de l’année. On s’installe dans leurs beaux jardins pour y consommer du vin en vrac, de la charcuterie souvent maison, vendue à l’hectogramme, du pain vendu à la tranche, des œufs durs à l’unité, plus rarement des plats cuisinés.
Udine, San Daniele et Cividale
75 km séparent Udine de Trieste, et pourtant le paysage, la culture, la langue et les traditions changent complètement d’une ville à l’autre. Ici, c’est la domination vénitienne qui marque l’architecture, bien visible dans la Loggia del Lionello ou en Piazza della Libertà. Si le château de Miramare – littéralement « Regarde la mer » – sur les rochers près de Trieste, le château d’Udine, qui domine la ville, lui, admire les montagnes et les collines.
Au café d’antan, ici on préfère l’osteria, pour y boire un taj (verre de vin) au comptoir ou s’attabler pour un plat de brovada e muset ou un roboratif frico e polenta. Le premier est un gros saucisson de porc, proche du cotechino, cuit dans l’eau et servi avec des navets fermentés dans du marc de raisin. Le second est une galette épaisse et moelleuse à base de fromage Montasio, pommes de terre et oignons, accompagné d’une tranche de polenta. D’Udine jusqu’à la Carnia, on aime l’orge, qu’on utilise dans les soupes ou comme le riz pour de l’orzotto.
À une vingtaine de minutes au nord-ouest d’Udine, on trouve San Daniele, et son célèbre jambon cru. On connaît moins son excellente production de truite fumée. D’Udine, en prenant la direction opposée, à quinze minutes de la ville, on arrive à Cividale et son spectaculaire Pont du Diable, qui traverse le fleuve Natisone, et des vestiges importants des Lombards. Ici, on produit aussi le gâteau iconique de la région, la gubana, une brioche enroulée sur une farce de fruits secs, confiture et grappa. Les vrais de vrai arrosent ses tranches avec du slivovitz, un distillé de quetsches typique d’Europe de l’Est. La cuisine de la vallée du Natisone, si proche de la frontière, a une forte connotation slovène, avec des empreintes habsbourgeoises et un forte passion pour la cueillette sauvage.
Appellations et cépages du Collio
À quelques kilomètres au sud de Cividale s’ouvre la zone collinaire du Collio, connue pour sa production viticole depuis le temps des Romains. Le Frioul-Vénétie Julienne compte plusieurs appellations (16 au total), et cépages autochtones, comme le Ribolla gialla, qu’on trouve aussi dans le Brda (le Collio slovène), le friulano (appelé autrefois tocai), le verduzzo ou encore le Ramandolo et le Picolit, deux cépages et deux appellations de vins de desserts, alors que vers le Carso, le cépage blanc par excellence est la vitovska. Coté rouges, les cépages locaux sont Schioppettino, Ramandolo dal Peduncolo Rosso, Pignolo et Terrano sur le Carso.
Mais si vous avez entendu parler du Frioul accoudés au comptoir d’un bar à vin nature pour fin connaisseurs, c’est probablement en dégustant du vin… orange. Le mérite va à Josko Graver qui, après s’être distingué avec ses vins blancs très conventionnels, décide à la fin des années 1990 de tout changer, déclenchant une véritable révolution. Il extirpa tous les cépages internationaux de son vignoble et commença à produire des vins de macération affinés en amphores géorgiennes. La balade œnologique peut continuer vers Corno di Rosazzo et Cormons, pour ensuite descendre jusqu’à Gorizia. Située sur la frontière italo-slovène, scindée en 1947 en Gorizia, en Italie, et Nova Gorica, en Slovénie (à l’époque Yougoslavie), cette ville montre bien comment les cultures germanique, slave et italienne se mélangent.
Cjalsons à La Carnia
Protégeant les vignobles du Collio des vents froids du Nord, les Alpes de la Carnia et les Dolomites frioulanes, sont inscrites à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2009. L’aspérité de cette terre a obligé ses habitants à déployer toute leur ingéniosité en cuisine, pour faire transformer le peu de produits à disposition en plats nourrissants et goûteux. Un bon exemple est le Formadi Frant, un fromage anti-gaspi très particulier, mélange de tomes de Montasio de différents affinages recalés de la vente, de crème et de beaucoup de poivre. On trouve ici le toc in braide, une polenta moelleuse avec une crème de fromages ; les blecs, des pâtes typiques à base de farine de sarrasin ; la ricotta fumée, qu’on râpe sur les gnocchi de pommes de terre, de courge ou sur les cjalsons (ou cjarsons ou cjarzons), des ravioli avec une farce sucrée-salée à base de blettes, herbes fraîches, ricotta, cacao, cannelle, dont chaque village a sa variante, et chaque famille, sa recette. Sauris, très joli village de montagne, célèbre pour ses lacs artificiels aux couleurs étonnantes, a su se faire connaître aussi pour sa production de charcuterie légèrement fumée.
Boreto à Grado
De l’extrême nord de la région, on redescend tout au sud, pour découvrir deux petits bijoux : Grado, appelée l’Île du soleil, avec ses basiliques paléochrétiennes ; et Marano, où l’empreinte de la Serenissima (Venise) est encore très présente, de la langue à l’architecture. Leurs lagunes, avec une grande biodiversité de flore et faune, sont parsemées d’anciennes maisons de pêcheurs en paille, où, de nos jours, on se réunit pour des dimanches festifs en se régalant de la pêche du jour.
À Grado, on déguste le boreto, une soupe de poisson très poivrée, recette élaborée avec de l’ail brûlé et du vinaigre pour rendre comestible un poisson plus trop frais, car ici aussi, on ne jette rien. À Marano, la spécialité est le bisato in speo, de l’anguille rôtie au barbecue.
Pitina à Pordenone
À l’Est de la région, à la frontière avec la Vénétie, les dialectes et certaines traditions se rapprochent. La province de Pordenone offre une nature enchanteresse, notamment dans le parc naturel des Dolomites frioulanes, qui cachent des véritables trésors comme les Pozze Smeraldine (Flaques d’Émeraude), de jolis bourgs et une célèbre école de mosaïque à Spilimbergo. Côté gastronomie, on trouve la pitina, une sorte de petit saucisson frais à base de chèvre, brebis daim ou chevreuil, avec du gras de porc, consommée crue ou poêlée. On aime ici les haricots, toutes sortes de soupes, la polenta bien sûr, dont la farine est aussi utilisée pour des biscuits traditionnels.
Ilaria Brunetti /© Arno Senoner
L'Italie à l'honneur
En 2023, le festival Sirha Omnivore célébrera ses 20 ans et mettra l’Italie à l’honneur. Dans ce cadre, Sirha Food et l’ICE-Agence italienne pour le commerce extérieur à Paris s’associent pour promouvoir la pluralité et l’authenticité de la cuisine italienne. Un voyage culinaire au cœur des régions italiennes qui a débuté en janvier à Sirha Lyon, et se poursuivra jusqu'en septembre à Paris, avec l’organisation partout en France de pop up dinners à quatre mains par des chef.fe.s italien.ne.s et français.e.s.
Le premier de ces dîners a lieu lundi 3 avril, avec la cheffe frioulane Anna Barbina, que reçoivent Jeanne Satori et David Degoursy dans leur restaurant De:Ja, à Strasbourg.