Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Romain Mahi, le chef-potier | Sirha Food

Romain Mahi, le chef-potier

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De la popote à la poterie, Romain Mahi n’a fait qu’un pas de côté. Chez Accents, à Paris, on mange sa cuisine dans ses assiettes, faites (vraiment à la) maison.

« C’est pas parce qu’on tourne deux assiettes chez soi qu’on est céramiste. C’est comme être chef : c’est pas parce que tu fais un très bon risotto à la maison, que tu peux ouvrir un resto », sourit Romain Mahi, chef du restaurant Accents, à Paris, assis face à son tour de potier, à son domicile. Les assiettes cassées ou déformées qui s’empilent sur les étagères de son « atelier » en sont la meilleure preuve… on ne s’improvise pas céramiste. Pourtant le défi un peu fou qu'il s’est donné s’en approche : produire l’ensemble de la vaisselle de sa table.

« Avec Ayumi (sa partenaire dans la vie et propriétaire/pâtissière du restaurant), on a toujours aimé la vaisselle et la platerie tout particulièrement, donc on a voulu avoir les nôtres en s’associant avec un céramiste. Malheureusement, dès qu’on trouvait des gens avec qui travailler, on nous annonçait des temps d’attente énormes. On a fini par se dire qu’on pourrait faire nos assiettes nous-mêmes. Au resto on est déjà dans cette dynamique de tendre vers le 100% de choses faites par nous-mêmes. Alors pourquoi pas les assiettes aussi ? » À l’époque, nous sommes encore dans le monde d’avant, et le temps libre est rare, le projet se fera dans « quand on aura le temps ». Ça tombe bien, du temps libre à partir de mars 2020, Romain et Ayumi en ont eu beaucoup.
« On a acheté le tour en septembre 2020, et on a commencé les tests. Au début, ça ne marchait pas tellement », rigole-t-il. Concrètement, les premières assiettes arrivent sur les tables seulement quelques jours avant que les portes des restaurants ferment pour la deuxième fois. Une nouvelle période de recherche et développement pour le chef.

C’est surprenant parce la poterie et la cuisine sont deux artisanats très proches, il y a une vraie réflexion avant de se mettre au travail. Comme lorsque l’on invente un plat, on imagine déjà une forme, une matière, un aspect plus ou moins brillant… »

Et, tout comme en cuisine, ces subtilités ne viennent pas sans technique. Pourtant Romain ne veut pas « en savoir trop » et souhaite conserver une certaine fraîcheur dans son travail. « Quand je vois des gens en reconversion qui veulent devenir chef, je trouve qu’ils ont une façon différente d’aborder la cuisine, je trouve ça intéressant. Avec les assiettes, j’essaie d’avoir une démarche équivalente, de récupérer cette créativité non académique. C’est un peu présomptueux, mais on aimerait créer des choses uniques qu’on ne retrouvera pas dans d’autres restaurants. »

C’est d’ailleurs cette volonté de se distinguer qui pousse Romain à travailler des émaillages maison. Devant les produits standardisés du commerce, le chef/céramiste veut aller jusqu’au bout de sa démarche DIY. Ainsi, il s’attelle à la fabrication d’émaux maison à partir de kaolin, de silice, ou encore de feldspath qui permettent de créer une base à laquelle s’ajoutent des composés aux caractéristiques chimiques diverses. Parmi ces éléments, beaucoup de poudres de coquillages. Toujours soucieux de recycler et réduire ses déchets au maximum, Romain broie notamment les coquilles, d’ormeaux, de Saint-Jacques ou d'huîtres qui passent par la cuisine. Ces différents composés donneront des émaillages aux textures et aux couleurs parfois très surprenantes. « On avance un peu dans le noir, c’est très empirique, on fait énormément de tests. Au fur et à mesure, on comprend mieux certaines réactions mais nous sommes encore en plein apprentissage. »

« Même si on a une cuisine qui s’adapte beaucoup à ce qui l’entoure, on a des assiettes qui sont envisageables pour des tapas ou des bouchées mais qui sont quasiment impossibles à utiliser pour une viande et son jus par exemple. » Mais pour le chef, fabriquer sa vaisselle à sa main décuple sa créativité débridée. Celui qui réfléchissait parfois à des recettes selon une assiette, a désormais le luxe de réfléchir dans l’autre sens : « Parfois je crée un plat et je me dis qu’il me faudrait tel ou tel type d’assiette ». Couleurs, textures, sensations… autant de nouveaux éléments à maîtriser pour donner un nouveau niveau de lecture à sa cuisine. « Par exemple, j’ai fait un espuma de bisque un peu comme un cappuccino. Rien de révolutionnaire. Mais en le mettant dans un bol hyper rugueux, limite désagréable au toucher, ça créait un contraste qui me semblait hyper intéressant, alors que dans un autre contenant, ça n’aurait pas marché du tout. »

En plus de cet aspect créatif nouveau, la fabrication de ses propres assiettes par le chef représente également une économie certaine. « Une cuisson (l’usage du four) nous coûte entre 2,50 et 5 euros. » Pour idée, dans son four à plus de 1000° Romain peut cuire 5 assiettes ou une vingtaine de bols. « En comptant le coût des matières premières, l’usage du four ou encore la casse, sans compter la main d’œuvre, on doit être à 2 euros l’assiette. » Une paille par rapport au prix de la vaisselle « d’avant », qui revenait à environ 35, voire 50 euros l’unité.

« Bien entendu le travail et la finition ne valent pas le travail d’un céramiste mais au moins on a la fierté de pouvoir dire que ce sont nos assiettes. » Cette fierté de retourner à la base des choses, de savoir les faire même si tout n’est pas parfait. C’est cette identité que la cuisine de Romain dégage, une exploration permanente de ce qu’il croise et une volonté farouche d’en faire profiter le monde qui l’entoure sans peur d'être perfectible. L’humilité d’offrir ce qu’il découvre à ses clients.

Texte et photos Florian Domergue

Accents24 rue Feydeau, 75002 Paris

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