Comment préserver le maillage finement tissé de l’apprentissage en boulangerie-pâtisserie ?
Par Rémi Héluin
Le régime avantageux dont bénéficiait l’apprentissage pourrait bien toucher à sa fin. Les aides accordées aux entreprises accueillant des jeunes en formation ont déjà été réduites… et d’autres coupes budgétaires sont à craindre, au travers d’une potentielle révision des coûts contrats et de la dotation aux Centre de Formation des Apprentis (CFA). Dans un contexte où les artisans sont contraints à devenir de fins gestionnaires, l’enjeu est de préserver la transmission du savoir-faire, dont l’apprentissage est un élément clé.
"L’apprentissage est un investissement pour l’avenir", défend le réseau des Chambres de Métiers et de l’Artisanat (CMA). Avec ses 147 centres CMA Formation, qui revendiquent former 112 500 jeunes chaque année, la structure est engagée aux côtés des filières gourmandes pour faire perdurer les plus précieux trésors des artisans : leurs tours de mains, recettes et compétences. La Loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », dite loi « Avenir Professionnel », promulguée en 2018, a permis de revaloriser une filière longtemps sous-considérée dans l’Hexagone. Libéralisation du marché de la formation, revalorisation des salaires, aide financière pour le permis de conduire, élargissement jusqu’à l’âge de 29 ans… autant d’évolutions qui auront permis au nombre d’apprentis de progresser de 36% depuis l’année scolaire 2018-2019 (source baromètre ISM-MAAF de l’apprentissage en artisanat 2024). Au total, ce sont près de 203 570 apprentis qui ont été accueillis au sein d’entreprises artisanales de moins de 20 salariés en 2022-2023… avec un très fort taux d’accès à l’emploi en sortie de formation, puisque 67% des jeunes décrochent un contrat dans les six mois suivant l’obtention de leur diplôme.
L’apprentissage : une image redorée mais des filières à l’attractivité variable
L’objectif visé lors de la réforme semble rempli : les profils engagés dans la filière se sont diversifiés, avec notamment des reconversions professionnelles, des reprises d’études, ou une féminisation notable dans les métiers de l’artisanat. Selon un sondage réalisé par CMA France, 50% des jeunes interrogés envisagent de se reconvertir un jour vers une profession rattachée à cette catégorie, soit deux fois plus qu’en 2021. Mais ce tableau pourrait rapidement s’assombrir. Si les effectifs des activités de services continuent de progresser, ce n’est pas le cas de ceux de l’alimentation : la boulangerie-pâtisserie cumulait 28 450 apprentis, soit une baisse de 3% par rapport à l’année scolaire 2022-2023. Véritable trou d’air ou incident de parcours, ce chiffre témoigne de la fragile attractivité des métiers du pain et du sucré, qui ont vu leurs difficultés largement documentées dans les médias ces deux dernières années.
Entre crise énergétique et inflation, la perspective d’évoluer dans un métier aux opportunités restreintes a pu remettre en cause une partie des vocations. L’attractivité de la filière est un enjeu pris en considération par les organisations représentatives, qui multiplient les initiatives afin de développer la visibilité des métiers allant du grain au pain. La plateforme ChasseursDeGraines.fr, imaginée par l’Association Nationale de la Meunerie Française (ANMF) en partenariat avec la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF) et la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie (FEB), est un des outils déployés à cet effet : vidéos de témoignages, fiches métiers, guides des formations… autant de contenus qui bénéficient d’une mise en avant sur des sachets à baguette et les réseaux sociaux.
Nouvelles attentes vis à vis du travail, diminution des aides… des défis réels pour les entreprises et centres de formation
Les attentes des jeunes vis à vis du travail sont également en pleine évolution, et ce depuis la période Covid. Un changement qui n’a pas échappé aux chefs d’entreprise, contraints de multiplier les initiatives pour améliorer l’attractivité de leurs structures : flexibilité des horaires, repos les week-ends, semaine de quatre jours, comité d’entreprise, … autant d’engagements qui renouvellent l’organisation des équipes, dans lesquelles les apprentis tiennent une place importante. Ces investissements au service d’une meilleure qualité de vie au travail pourront-ils continuer à être mis en œuvre ? En février dernier, un décret a fait évoluer les aides destinées aux employeurs d’apprentis. La somme consentie passe de 6 000 à 5 000 euros, tandis que la seconde année d’un contrat de deux ans ne bénéficie plus d’aucune aide. Les chefs d’entreprise ne sont pas les seuls concernés, puisque les apprentis voient l’exonération de charges sociales limitée à 50% du SMIC, contre 79% auparavant.
Le coup de rabot se révèle suffisamment généralisé pour affecter la qualité de la formation en elle-même. En 2023, les niveaux de prise en charge (NPEC) ont été réduits de 5% en moyenne (voire près de 8% pour les CAP) pour environ la moitié des certifications (47%) réalisées en contrat d’apprentissage. France Compétences visait à l’époque 500 millions d’euros d’économies. Afin d’éviter de mettre en péril leur équilibre économique, les centres ont dû adapter leur fonctionnement, réduisant pour certains le nombre d’heures de formation. Une nouvelle baisse de ce qui est fréquemment appelé « coût contrat » pourrait subvenir dans les mois à venir, poussant les CFA à imposer aux entreprises de contribuer au « reste à charge ». Cela contribuerait à remettre en question la volonté des artisans d’accueillir des apprentis, même si la volonté de former la jeunesse demeure forte.
Explorer de nouveaux formats pour former efficacement et durablement

C’est cette même volonté qui pousse certains à explorer les possibilités offertes par la loi de 2018. La dynamique de libéralisation du secteur de la formation inscrite dans le texte a en effet permis l’émergence de CFA d’entreprise, à l’image de celui développé par Franck Debieu au sein de l’Etoile du Berger. Inauguré fin 2024, le dispositif imaginé par l’artisan s’inscrit dans le prolongement de son engagement au service de la formation, initié depuis son parcours au sein des Compagnons du Devoir. Son outil de production et de formation de Palaiseau (Essonne) accueille ainsi des apprenants en production comme en vente, tout en développant de fortes synergies avec les six autres sites que compte la structure. "Ce projet a bousculé l’entreprise", confiait Franck Debieu lors de l’inauguration du lieu, qui accueille des individus aux parcours très variés (jeunes, mères de famille, …). Un projet qui témoigne de la pertinence du format, y compris en dehors des grandes entreprises, qui ont été les premières à l’adopter : en plus de répondre aux besoins de main d’œuvre d’une filière en tension, il permet aux futurs professionnels de bénéficier d’une formation opérationnelle, pleinement en phase avec les réalités du métier. De quoi démontrer que l’apprentissage a un avenir réel dans les filières artisanales, s’il mise sur l’innovation et la diversité.